Calcutta

Les préjugés collent à l’image du centre de Calcutta. La troisième plus grande cité d’Inde effraye à l’avance par sa misère crasse. Et pourtant c’est oublier que la « Belle en Guenilles » fut la capitale du Raj britannique. Elle conserve d’ailleurs de magnifiques monuments de sa période de gloire.  Comme souvent, je vous propose plusieurs articles. Dans le premier, voici une visite du centre de Calcutta. il vaut mieux y venir entre octobre et mars pour des raisons climatiques.

Autour de l’Esplanade

Ce que l’on appelle le centre de Calcutta correspond au quartier historique de la capitale du Raj Britannique. Desservi par le métro, ce quartier regorge d’hôtels et de petits restaurants.

On y trouve de jolies adresses comme l’Oberoi, le Grand hôtel de l’époque britannique avec son piano bar, ses petits salons. Dans les rues avoisinantes, une foule de petites pensions bon marché accueillent des routards. Les touristes attirent une foule miséreuse autour de ces rues très commerçantes. Car on trouve de tout à New Market . Entre petits stands et jolies boutiques anciennes, ce quartier est le paradis des acheteurs. Pour une petite boisson, le joli hôtel Fairlawn vaut le détour. Il offre une vision désuète et pleine de charme du Calcutta colonial. Ses vieux sofas poussiéreux et ses photos de célébrités d’antan invitent à une halte dans le passé.

Outre les bâtiments gouvernementaux, l’on trouve deux des monuments les plus importants de la ville et de nombreux espaces verts.

Le Maidan, poumon vert de Calcutta

Le Maidan est un immense poumon vert au centre de Calcutta articulé autour de Fort William. La forteresse remonte à 1696, une cinquantaine d’‘années après Fort Saintt Georges, à Madras. Ces Forts marquent les lieux de naissance de ces villes anglaises. Celui au centre de Calcutta se trouve toujours entre les mains de l’armée et ne se visite pas. On trouve de nombreuses statues dans le parc ainsi que des jardins aménagés. Ainsi Eliott park a été financé par la famille Tata.

S’y succèdent également des bâtiments emblématiques du centre de Calcutta. On y voit le planétarium Birla, de style classique, financé par la famille du même nom . Non loin de là, se dresse le mémorial à la Reine Victoria. Puis, la cathédrale st Paul, bâtie sur le modèle de Westminster Abbaye. Son architecture est une réplique fidèle de la grande abbaye londonienne.

Le Victoria Memorial

C’est un superbe édifice de marbre blanc plus palladien que moghol. Sa construction remonte au début du XXème siècle. Elle visait à célébrer la grandeur de l’Empire dont le centre était Calcutta. Entouré de jolis jardins bien entretenus, sa forme rappelle celle d’un capitole américain. Les petits lanternons autour de la coupole ne sont pas sans rappeller l’eglise de la Salute à Venise. C’est aujourd’hui l’un des plus beaux musées du centre de Calcutta. Le rez-de-chaussée expose des peintures et statues des Anglais qui ont marqué le Raj. En revanhe, le premier étage a été aménagé en musée des « combattants de la liberté ». Dans une muséographie moderne, inédite en Inde, on y suit l’évolution des idées et des hommes qui menèrent vers l’indépendance.

Le musée indien de Calcutta

Ce musée est l’un de plus anciens d’Asie et remonte à 1814. Conçu à l’anglaise, mais dans une palais bengali, il est resté pratiquement en l’état depuis le départ des colons. La muséographie n’a visiblement pas été retouchée. Les chemins y sont compliqués, comme la belle salle des textiles, cachée derrière la collection de poissons et d’oiseaux. La poussière date visiblement de la même époque, en tous cas dans les salles d’histoire naturelle. Néanmoins, la richesse des collections fait de ce grand palais, articulé autour d’une cour, l’une des attractions majeures du centre de Calcutta. Parmi les merveilles, les vestiges de la cité bouddhique d’Amaravati complètent ceux exposés à Chennai. La galerie de peintures mogholes au premier étage jouit néanmoins d’un réaménagement et les œuvres valent d’y passer un moment.

Maison de Mère Teresa

La maison de la grande figure chrétienne est devenue le lieu le plus visité de Calcutta. C’est une maison grise, entretenue par les missionnaires de la charité. On y voit notamment la tombe de la Sainte, cannonisée en 2016.

Au nord de Calcutta, le Pont Howrah et la Gare

Cette fois il s’agit de partir vers le nord de Calcutta. On va y découvrir deux bâtiments emblématiques de la ville. Ils se situent de part et d’autre de la rivière Hoogli, un des bras du delta du Gange. Il s’agit du pont et de la gare.

Le pont d’acier suspendu ne date que de 1943, mais il apparait sur de nombreuses représentations de la ville. Il domine l’impressionnant marché aux fleurs. Tout autour, on croise une foule de petits commerces de rue ahurissants,tels des raseurs publics ou nettoyeurs d’oreille.

De l’autre côté du fleuve, la gare Howrah st l’une de plus anciennes d’Inde avec celle de Royapuram à Chennai. C’est surtout la plus grande et la plus fréquentée du pays. Sa belle architecture est emblématique du style indo-sarracénique.

Saint Thomas

Saint Thomas a marqué Chennai de sa présence. D’abord parce que l’apôtre qui doutait y est mort au 1er siècle de notre ère. Il s’y est arrêté. Il y a aussi vécu huit ans nous raconte la légende, prêché et y a subi le martyr.

St Thomas, epinture de Saint Homas au Mont

L’Apôtre est donc venu évangéliser, subir la torture et mourir en ces lieux, bientôt suivi de disciples du Christ. Ceux-ci ont d’ailleurs motivé la construction de l’une des trois seules basiliques bâties sur le tombeau d’un apôtre. Avec Saint Jacques de Compostelle et Rome, Madras s’enorgueillit ainsi d’une communauté chrétienne.

L’arrivée de Thomas à Madras

Il n’est pas si étrange que st Thomas ait accosté en ces terres lointaines. En effet, les Romains y avaient déjà fondé des comptoirs. En atteste le site d’Arikamedu, situé à quelques kilomètres au sud de Pondichéry.

Les bateaux des marchand romains amenaient également à leur bord des missionnaires. Ceux-ci venaient au nom de cette religion nouvelle qui depuis la terre sainte essaimait à Rome. Ces hommes de foi n’étaient pas forcément nombreux mais assez pour construire quelques églises dans le Kerala. L’un d’entre eux, Thomas s’aventura de toute évidence jusqu’à la côte de Coromandel. Il avait déja séjourné douze ans sur la côte de Malabar. Il dut gagner l’Est en traversant les Ghats ou en contournant l’extrémité sud du cap Comorin.

Saint Thomas à Chennai

Les implantations chrétiennes les plus anciennes se trouvent de fait au Kerala. D’ailleurs, l’archéologie atteste bien d’une présence précoce de chrétiens. Néanmoins c’est bien à Chennai que l’apôtre Thomas aurait décidé d’organiser une communauté.

Thomas, si l’histoire est vraie, a prêché sur la plage au milieu des pécheurs. Il se retirait sur les hauteurs tropicales alentours. Une charmante petite église rappelle son lieu de retraite, au sommet de la colline. Avec son autel carrelé d’azulejos elle a un petit air portugais. Les escaliers qui y mènent, l’architecture de type missionnaire, avec sa façade simple, ourlée et blanche rappellent également le Portugal. A l’intérieur, on peut s’interroger sur l’étrange écriture sur un certain nombre de pierres tombales. Elles proviennent des marchands arméniens . Ceux- ci y pratiquaient leur culte avant de construire leur ravissante église à George Town au début du XVIIIème siècle.

Sur les côtés de l’autel, un extraordinaire étalage de reliques souligne la sainteté du lieu. Cela va des rognures d’ongles, au morceaux de dents de diverses figures plus ou moins illustres de l’Eglise locale.

Little Mount, lieu du martyr de Saint Thomas

Sur le chemin de sa retraite, en haut du Mont Saint Thomas, une flèche aurait transpercé Saint Thomas, lancée par un hérétique un peu énervé par son prosélytisme. Un étonnant lieu, nommé “Little Mount”, le petit mont, rappelle l’évênement. Ici, deux jolies chapelles portugaises à l’architecture missionnare cotoient une grande église ronde comme un tipi. Sa clarté disille une foi étonnante. Sur le même site, un fléchage permet de suivre la cellule dans laquelle l’Apôtre aurait été enfermé. On voit également au sommet de la colline un rocher dans lequel est imprimée une empreinte de pied, une infractuosité, nommée source miraculeuse, ainsi qu’un rocher maculé de sang. Une reconstitution en cire très haute en couleurs retrace la mort de Saint Thomas. Le tout est abrité sous une construction curieuse et destinée à accueillir des foules de pélerins.

La Basilique Saint Thomas

Il y a pourtant des reliques de Saint Thomas, a priori tout au moins. Et elles se trouvent dans la Basilique à son nom. Celle-ci est construite tout près de la plage, là même où l’apôtre se serait rendu pour prêcher. Celle-ci fut construite à l’aplomb de la sépulture. On est ici dans le schéma de st Pierre de Rome . A savoir une basilique majeure construite sur la chapelle construite autour de la tombe de l’apôtre. Néanmoins, l’architecture y est moins glorieuse ou spectaculaire qu’à st Jacques de Compostelle ou à st Pierre de Rome. Il s’agit d’une église néogothique blanche dans le plus pur style colonial britannique. Cette structure à clocher ressemble un peu à une tarte meringuée dans le paysage de Chennai. Cependant, l’intérieur ne manque pas de charme avec son étonnant plafond vouté à croisée d’ogive en bois.

 La basilique recèle quelques morceaux de bravoure. Ainsi, la crypte propose une reconstitution édifiante en carton-pâte de la mise à mort de St Thomas. Juste au-dessus, un petit musée recèle des vestiges de l’ancienne église. Quelques images le disputent à de vieilles pierres dans un joyeux fatras dont l’Inde a le secret.

 Le long de l’édifice néogothique, une petite chapelle abrite une vierge en saree assez unique. On peut lui préférer l’ensemble de portraits des apôtres qui ornent les murs de la nef de l’église supérieure. Au lieu de tableaux pompiers ou de mauvaises reproductions d’œuvres sacrées anciennes, le diocèse a choisi des photographies. Il s’agit de portraits de jeunes hommes magnifiques en guise d’apôtres, en tous cas certains d’entre eux. Bien que depuis longtemps fanés, ces portraits conservent la beauté de stars de cinéma.

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Architecture coloniale

Voici un petit lexique récapitulant l’architecture coloniale à Chennai et sa signification  avec en prime quelques bâtiments emblématiques.

Le baroque Portugais

Au XVIeme siècle, le petit village tamoul de Mylapore est conquis par les Portugais en quète d’épices. Les Fransiscains qui les accompagnent en profitent pour évangéliser et reconstruire la basilique de l’Apôtre Saint Thomas, martyrisé et mort en ces lieux. Puis ils construisent des missions. De petites chapelles se multiplient à Mylapore : Saint Thomas bien sûre, mais aussi l’Eglise de la Lumière Luz, Sainte Rita, Notre Dame du Rosaire. Sur les hauteurs, les jolis ermitages blancs et baroques du Petit Mont et de mont Saint Thomas dominent la ville.

Le néo-palladianisme ou classicisme anglais.

Inspiré de l’architecte vicentin Palladio qui travailla au seizième siècle non loin de Venise, il est ramené en Angleterre par Inigo Jones et se diffuse dans les campagnes britanniques avant de s’imposer dans les plantations et les bâtiments officiels américains. Il est devenu emblématique de l’idée de démocratie et de bien publique. Avec ses lignes équilibrées et symétriques on le retrouve notamment au Rippon Building mais aussi dans les belles églises st Andrew et St Georges. Il émane d’une Angleterre triomphante qui impose sa vision de l’ordre et du bon gouvernement.

Le style indo-sarracénique emblématique de l’architecture coloniale

Le style indo-sarracénique nait à Chennai au Chepauk Palace, juste à côté du stade de cricket du même nom. Il correspond à la vision anglaise des édifices indiens. Il mêle influences mogholes (alors que les Moghols ne sont pas parvenus à Chennai), néo-byzantines voire gothiques. On le voit aux musées du Gouvernement mais aussi dans les bâtiments de l’université de Madras ou les cours de justice. Il témoigne d’une Angleterre qui se veut intégrante et compréhensive de l’héritage musulman mais qui ne se rend pas compte qu’elle commet un anachronisme majeur puisque les Moghols ne sont pas parvenus au Tamil Nadu. La présence coloniale impose ici un modèle unique indien dans une vision hégémonique.

Le style néo-gothique.

Emblématique de la fin du XIXe anglais, on le retrouve dans beaucoup d’églises coloniales avec ces flèches à clochers pointus. SanTome en est un bon exemple. La gare centrale, sur le modèle de Saint Pancras de Londres illustre aussi joliment ce style.

Il connait une variante vénitienne avec notamment les bâtiments de brique rouge du quartier de Parry’s Corner. Le long de la ligne de chemin de fer, les belles façades donnaient sur la Promenade, allée de parade à l’epoque coloniale vite abandonnée lors de l’ouverture du chemin de fer et de la nouvelle Marina Beach plus au sud. Cette variante repose sur les écrits de John Ruskin et est essentiellement adoptée pur les édifices à vocation commerciale. Certains architectes poussent l’imitation jusqu’à reproduire des édifices célèbres de la République Sérénissime de Venise comme le fameux Bovolo. Venise à Madras, il fallait oser, mais les Anglais au faite de leur puissance coloniale n’hésitent pas.

L’éclectisme

Il très typique dans toute l’Europe de la fin du XIXe apparait à Chennai dans certaines constructions originales comme le bâtiment du Sénat de l’Université de Madras sur la Marina. Le plus bel exemple est néanmoins certainement Egmore Station avec son ravissant toit en coupole et ses piliers décorés de dentelles.

Le style néo dravidien, plus rare est une concession à l’âme dravidienne locale. Plus profondément tamoul, il apparait plus tardivement au centre ferroviaire du sud-ouest près de la gare centrale par exemple. Il témoigne d’un intérêt voire de concessions de l’Empire par rapport à l’originalité et l’identité tamoule dans un océan anglo-hindi.

Également très rare à Chennai, le style Arts and Crafts témoigne du mouvement Art Nouveau mené par William Morris en Angleterre. On le retrouve non loin de la gare à l’école d’Art, lieu d’expérimentations artistiques.

Le style art- déco

Il marque la fin de l’architecture coloniale et une certaine forme de revendication par rapport à l’Empire britannique. Français à l’origine, remanié par son passage américain, il orne les nombreux quartiers nouveaux du Chennai des années 1940 et correspond à la montée du sentiment indépendantiste. On le trouve donc essentiellement dans les maisons privées des quartiers modelés dans les années 1930 tels T Nagar, ou Royapet. A Parry’s Corner, quelques édifices commerciaux adoptent également ces lignes droites et modernistes.

Résidences de Royapettah

Avec les Résidences de Royapettah, je vous propose le deuxième épisode de notre decouverte d’un quartier du centre de Chennai. Après avoir présenté deux bâtiments emblématiques la semaine dernière, voici maintenant une plongée dans l’architecture art déco.

L’horloge de Royapettah, point de ralliement

L’horloge de Royapettah, face au Mall, est un des beaux témoins de la période coloniale finissante. Elle est l’une des quatre horloges art déco à subsister de l’époque anglaise. Et l’on peut espérer que celle-ci ne sera pas détruite. Repeinte à plusieurs reprises en couleurs vives, elle reste une balise importante de la ville. Construite dans un quartier central, elle équivaut à un lieu de rassemblement et un point de repère reconnaissable. Qu’importe finalement si aujourd’hui l’heure suit plus ses caprices internes que l’écoulement réel du temps.

Lors de son érection dans les années 1930, elle servait tout à la fois de repère visuel et de marqueur temporel. A cette époque, les gens disposaient rarement de montres..

Le quartier comptait alors de nombreux théâtres et cinémas. Il y en aurait eu plus de 80 également dans le style art déco. Celui-ci se distingue par sa verticalité et son ornementation géométrique.

Royapettah, quartier résidentiel

Il ne reste guère de jardins dans ce quartier en proie à une véritable fièvre spéculative. Néanmoins le café Amethyst offre un agréable oasis de paix.

Les rues qui partent depuis le mall proposent un florilège de résidences adoptant le style art déco local. Celui-ci recourt à des matériaux nouveaux comme le béton armé. En revanche, le vocabulaire architectural combine les éléments verticaux et géométriques. Ces éléments emblématiques de l’art déco se doublent ici de particularismes locaux. Ainsi en va-t-il des jalis en béton, ou des sculptures de divinités hindoues. Les jalis correspondent à des écrans de pierre ajourés et étaient fréquents dans l’architecture moghole.

Contrairement à Mumbai, il n’y a pas de quartier art déco homogène. En revanche, le style mâtiné d’influences locales a essaimé à travers tout Chennai. L’art déco y prend des formes tardives et vernaculaires marquées. Le rinceau, très classique d’inspiration pour nous, revêt ici une symbolique religieuse. Il rappelle les colliers de fleurs que l’on trouve dans les temples. Les motifs verticaux tripartites inspirés des ornementations automobiles américaines se mêlent à des œil de bœuf typiques de l’influence paquebot hexagonale.

Souvent malheureusement, ces maisons sont en piteux état, les enfants des propriétaires habitent à l’étranger. Faute de véritable conscience patrimoniale, ces chefs d’œuvre se décomposent peu à peu. Pire, ils deviennent la proie de spéculateurs en attente de ces terrains idéalement placés au centre de Chennai.

Un palais princier survivant de la fièvre immobilière

Au débouché des incroyables Maisons de Thalayari street, une très belle construction d’angle a été rénovée avec habileté. Plus loin sur la rue, deux tours néo mogholes marquent l’entrée du dernier palais des Nawabs de Arcot. Le Mahal est le dernier vestige de la puissance des derniers monarques du Royaume carnatique. Les Nawabs d’Arcot administraient les Etats du sud et prirent leur indépendance des Nizams de Hyderabad sous la domination anglaise. A la mort du dernier des Nawabs en 1855 les propriétés familiales échurent au Raj. Dans les faits, le royaume carnatique avait déjà été pratiquement annexé par les Britanniques.

Ils disposaient également comme résidence du palais de Chepauk et de Triplicane. Mais les Anglais les confisquèrent en échange d’un édifice indo sarracénique très inspiré par l’architecture moghole. Celui-ci avait été construit pour accueillir des bâtiments administratifs. Les descendants des Nawabs y furent relogés et à partir de 1867 eurent droit à une rente annuelle. La propriété appartient désormais au gouvernement qui y loge toujours les descendants de la famille.

 Ceux-ci ne jouissent plus d’aucun pouvoir mais mènent une vie sociale active et animent de nombreuses œuvres caritatives

Un peu plus loin sur la rue, la maison Gandhi Peak offre une extraordinaire façade blanche. A partir de 10h du matin, la frénésie de la rue et l’abondance d’échoppes occultent totalement ce type de façade. Néanmoins, il vaut la peine de s’y intéresser . On peut alors constater que chaque étage a dû correspondre à un habitant et une volonté différente. Ainsi le propriétaire du dernier a voulu honorer Gandhi. Il a donc fait orner la façade d’une niche avec une statue commémorative à l’effigie du Mahatma.  En continuant le long de Pycrofts Road, on rejoint le centre commercial Express Avenue.

Royapet

Royapet est aujourd’hui connu pour ses grands magasins, comme le centre commercial Express avenue. On oublie pourtant que Royapet fut le coin chic de Madras dans les années 1830. Un quartier résidentiel se développa autour de la toute nouvelle église et de l’école Wesley. Les magistrats et acteurs cherchaient de nouveaux lieux de résidence dans cette zone proche de Mount Road. L’avenue s’affirmait alors comme axe central de Chennai.  Car Fort George devenant exigu, de nouveaux bâtiments de Governement Estate furent construits un peu au nord. La ville commença alors à s’étendre dans cette zone.

Effectivement, le gouvernement changeait de lieu et les employés de la EIC ( East India Company) cherchaient des espaces pour y construire leurs maisons. Royapet offrait de beaux terrains constructibles dans une végétation luxuriante. Il y avait de la place pour construire d’agréables résidences avec jardins mais aussi des écoles pour la nouvelle communauté Anglo indienne.

 Je vous propose aujourd’hui une promenade en deux temps dans ces lieux chargés d’histoire.

Express devenu Mall

Le quartier ne compte malheureusement plus beaucoup de jardins. Le lieu le plus connu est peut-être le centre commercial. Pourtant, on oublie presque que l’un des bâtiments les plus représentatifs de l’élite coloniale occupait les lieux, le célèbre et très exclusif Madras Club. Réservé aux hommes blancs, celui-ci fut fondé en 1832 puis agrandi une vingtaine d’années plus tard. Il ne reste rien des édifices classiques ni du parc. Le club lui-même avec sa façade de temple rappelait l’architecture palladienne de Londres. Les dames ne pouvaient y accéder que pour les bals et les grandes occasions.

 Néanmoins, il fallut augmenter les tarifs pour continuer à agrandir et maintenir les lieux. L’adhésion devenait prohibitive. La concurrence de nouveaux clubs poussa le club de Madras à réduire ses coûts en déménageant dans des locaux plus modestes. En 1947, il vendit la propriété aux enchères et s’installa d’abord à Branson Bagh en face de Church Park School, qui appartenait au Raja de Bobbili. Mais moins de dix ans après ce déménagement, l’état des finances du club obligea à un nouveau changement. Le club migra alors à Boat club où il se trouve encore aujourd’hui. En 1963 en effet, il avait fusionné avec le club d’Adyar et ouvrait enfin ses portes aux Indiens. Avec ses tarifs d’entrée prohibitifs et sa liste d’attente interminable le club reste très sélectif et perpétue une tradition ô combien britannique.

La société immobilière « Express » racheta quant à elle le Club de Madras et donna son nom à l’avenue qui bordait le terrain. Lorsque le centre commercial fut construit, il reprit à son tour le nom pour devenir « Express Avenue Mall ».

L’école Wesley

Pratiquement en face du centre commercial, un autre grand jardin se cache derrière des murs. Il s’agit de l’école Wesley. Celle-ci a fêté ses 200 ans en 2018.

De nombreux missionnaires étaient arrivés à Madras pour fonder des églises. Les Méthodistes, menés à Chennai par l’entreprenant par James Lynch, s’étaient dirigés en 1817 vers Black Town pour y prêcher.

Ils fondèrent un certain nombre d’églises dans la ville et une nouvelle chapelle à Royapet bientôt suivie d’une petite école.  Peu de temps après, la couronne signa une charte pour améliorer l’enseignement en sciences et en langues. Les missionnaires recurent alors l’autorisation d’enseigner en anglais ce que confirma la loi de 1835 officialisant l’instruction en anglais et autorisant la diffusion du christianisme. Le gouvernement garantissait alors des postes aux élèves à peine diplômés pour promouvoir ses écoles.

Puis le système se renforça encore avec des examens d’entrée en anglais. Ceci poussa les élites à faire donner des cours privés à leurs enfants de manière à les avantager pour rentrer dans ces écoles.

L’éducation était fondamentale car elle ouvrait des voies professionnelles. Les églises accueillaient tous les fidèles, contrairement aux temples hindous, et offraient des possibilités professionnelles et sociales nouvelles.

L’école de Royapet est l’une des rares constructions de Chennai dans un style vernaculaire. Le parc, quoique peu entretenu, est spectaculaire par sa taille en plein centre de Chennai.

L’Eglise de Wesley

Juste à côté, l’église située près d’un hôpital accueillait, et accueille toujours, une vaste congrégation pas seulement méthodiste. Il est vrai que les églises reformées se sont unifiées sous la même casquette en 1958 d’Eglise du Sud de l’Inde

la chapelle est devenue église. La grande bâtisse blanche de style néoclassique date de 1853 avec de jolis vitraux modernes. Le faux plafond a disparu lors de la rénovation et l’on a retrouvé la belle charpente d’origine. La quiétude des lieux contraste avec l’animation du carrefour qui donne sur le centre commercial.

Aux Français de Pondichéry

Un des charmes de la ville blanche est d’y croiser les noms des Français de Pondichéry écrits en Français. Ils évoquent bien quelque chose, mais quoi ?

Voici un petit récapitulatif de ces célébrités parfois oubliées. Et je ne parlerai pas du soldat indien qui a combattu aux côtés des Français dans les tranchées. Un joli monument art déco le long de la Promenade l’honore. Mais j’évoquerai ici ces hommes venus de l’hexagone qui ont contribué à façonner la ville parfois de manière contestable. Alors qui sont ces hommes ?

Les gouverneurs Français de Pondichéry

François Martin

Premier Gouverneur de Pondichéry., François Martin 1634-1706 arriva à Pondichéry une première fois en 1674, un an après la création de la Compagnie des Indes orientales. Il fut appointé premier Gouverneur général de la colonie naissante alors réduite à un hameau. Puis, il revint après l’occupation hollandaise. Il agrandit alors le camp. il y agrégea des villages avoisinants et mit en place le plan en damier typique des villes coloniales. Enfin, Martin fit de Pondichéry le siège des opérations françaises en Inde. Il y mourut et fut enterré dans le Fort Louis qu’il avait fait ériger. Brulé par les Anglais en 1761, celui-ci se trouvait à l’emplacement de l’actuel Parc Bharathi.

Pierre Benoit Dumas

Celui-ci, il nous semble le connaitre. Et pourtant non, la rue Dumas de Pondichery ne tient pas son nom du célèbre Alexandre. Elle n’a rien à voir avec le Comte de Monte Christo ou les Trois mousquetaires mais tout à voir avec le gouverneur de Pondichéry et de la Réunion, Pierre Benoît Dumas (1668–1745) .

Joseph-François Dupleix,

Outre la station de Métro parisienne, on découvre à Pondichéry un gouverneur énergique et ambitieux qui a transformé le village de pêcheur en port.  De fait, Joseph-François Dupleix (1697-1763) a fondé les prémices de la colonisation européenne sur les décombres de l’Empire moghol. Une statue l’honore sur la Promenade, une rue porte son nom ainsi qu’un café. On le retrouve également dans la maison de Ananga Ranga Pillai, son Intermédiaire, confident local et interprète. Ce dernier facilita le travail de Dupleix dans la colonie. Le Français fut un contemporain et rival de Robert Clive, héros sans scrupule des débuts de Fort Georges, aujourd’hui Chennai.

Charles Joseph Patissier, Marquis de Bussy-Castelnau

Bussy  qui répond aussi au nom évocateur de Patissier (1720 –1785) fut lui aussi Gouverneur Général en 1783 – 1785. Après avoir été ditingué par Dupleix il se chargea de la reprise en main de la ville en 1748. Il coordonna les opérations militaires avec Suffren, durant la guerre d’Indépendance américaine

Jean Law de Lauriston

Pondichéry est la transcription française du Puducheria , rapporté par les premiers explorateurs portugais. Ce qui signifie « village neuf ».  Ce village a changé de mains à maintes reprises. Après avoir été pris par les Britanniques, il fut récupéré une première fois par les Français. Jean Law de Lauriston, 1719-1797, neveu du financier écossais John Law, y fut deux fois Gouverneur. Il fut à l’origine de la reconstruction de la ville, en 1765, après sa destruction par les Anglais.

André Julien, Comte Dupuy

 Gouverneur General de Pondichéry de 1816 à 1825, André Julien, Comte Dupuy (1753-1832) récupéra les territoires conquis par les Anglais pour la troisième et dernière fois, ce après le Traité de Paris.

Des Français de Pondichéry qui ont laissé leur empreinte dans la ville

Sri Aurobindo et la “Mère”

Le saint homme et artisan de l’indépendance, en venant fonder un ashram et y passant une bonne partie de sa vie commune avec la « mère », a laissé une empreinte indélébile dans la ville. Mira Alfassa, libano- égyptienne et française a fondé Auroville en 1968. Cette communauté à 6km de Pondichéry a étendu son influence depuis. Sa présence se fait sentir à travers le trust qui rachète peu à peu la vieille ville et y installe ses boutiques et bâtiments gris contrastant avec la jolie teinte miel des maisons coloniales.

Mahe de la Bourdonnais.

Cet officier naval s’est illustré en prenant Mahé sur la cote du Malabar (Kerala). Il a conquis ses lettres de noblesse en tant que gouverneur de l’Isle de France (aujourd’hui IIe Maurice) puis de l’Ile Bourbon (La Réunion) avant de s’attaquer à l’Inde où sa rivalité avec Dupleix l’a  malencontreusement mené à la Bastille. Accusé faussement de trahison et de corruption, il a été réhabilité post mortem. Si Pondichéry ne lui rend hommage que par une rue, Paris lui a dédié une magnifique avenue du 7ème arrondissement.

Robert Surcouf

On ne s’attend pas forcément à rencontrer le célèbre pirate breton ( 1773-1827), esclavagiste et homme d’affaire, à Pondichéry et pourtant ses opérations dans l’Océan Indien pour saper la marine anglaise lui ont garanti une jolie rue dans le quartier français.

Pierre André de Suffren de Saint-Tropez,

Habitués du 15ème ou du 7ème arrondissement parisiens, saviez-vous que le provencal amiral, bailli de Suffren, avait été un amiral, habile tacticien et stratège hors pair dans les batailles qui l’opposèrent aux Anglais dans les eaux indiennes durant la révolution américaine ?

Édouard Goubert,

Goubert a donné son nom au marché établi en 1826. Il fut maire de Pondichéry puis premier ministre du territoire au début des années 1960. Il œuvra pour le statut des habitants.

Eugène Desbassayns de Richemont

Cet administrateur (1800-1859) a été Gouverneur Général de Pondichéry entre 1826 et 28. Il a fondé en 1828 le lycée français. Le Comte de Richemont a donné son nom à une rue mais a aussi ouvert des écoles indiennes et la bibliothèque publique, ainsi que le marché central aujourd’hui nommé Goubert.

Romain Rolland

Bien que prix Nobel de littérature en 1915 Romain Rolland n’est qu’un vague souvenir en France. En revanche ses amitiés avec Tagore et Gandhi lui ont garanti une ravissante rue bordée de bougainvilliers dans le centre de la vieille ville.

Victor Schoelcher

Une jolie statue de celui qui a abolit l’esclavage en 1848 orne la Promenade. Sur un piédestal de marbre noir, la tête de ce grand libéral surmonte un petit relief montrant un esclave libéré.

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Musée du Cinéma, Chennai

Voici un spécial Musée du Cinéma à Chennai. Les lecteurs les plus avertis l’auront certainement déjà subodoré. Le Monsieur Cinéma du Petit Journal dit aussi Greg le cinéphage, est ma meilleure moitié. Il a d’ailleurs opéré sa mue pour devenir M Bollywood sur ce site.

Pour changer des salles obscures, Monsieur Cinéma est parti en quête du musée chennaiote du 7e art. Il porte le nom de AVM Heritage Museum en hommage aux studios aujourd’hui fermés et disparus dans Chennai.

On peut accéder au musée depuis le Métro Vijaya. Celui-ci se trouve dans un centre commercial tout moderne et proche du temple du même nom, Arulmigu Vatapalani Murugan . De là, on rejoint Arcot Road pour rechercher les studios.

La vaine quête des studios

Le cinéma du sud étant très prolifique, Greg le cinéphage pensait trouver des grands espaces. Il s’attendait donc à trouver décors, starlettes au maquillage dégoulinant, caméras. Malheureusement, il a fait chou blanc. Il parait que les studios ont déménagé dans la campagne pour cause d’inflation immobilière au centre de Chennai.

En effet, au lieu de studios, seul le sigle AVM permettait d’imaginer que les lieux avaient pu importer pour le cinéma. Et de fait, ils avaient abrité l’âge d’or de la création cinématographique locale. Malheureusement, celle-ci a migré hors de la ville. De ce fait, les spéculateurs immobiliers se jettent avec gourmandise sur ces quartiers relativement centraux. Ceux-ci attendaient ces vastes terrains le couteau ou plutôt le carnet de chèque entre les dents. L’année dernière encore, quelques techniciens oubliés se consolaient dans les terrains vagues et les chantiers.

Car en cherchant un peu, il existe nombre de petits studios de doublage et d’effets spéciaux dans la ville. Pourtant l’idée de se rendre aux ex studios AVM  n’était pas si mauvaise. En effet, en avril 2023 un petit musée du cinéma a effectivement ouvert à Chennai.

Le Musée du Cinéma de Chennai

C’est bien dans le quartier historique de cette cité du cinéma disparue que le Musée du Cinéma s’est installé dans un studio rescapé. Le quartier se voit pour le reste envahi par des immeubles flambants neufs sur un boulevard un peu pourri.

Ne vous attendez pas à y trouver de grande reconstitution. Il manque un peu d’explications. Cependant, on y trouve les voitures conduites par les grands acteurs d’hier. Elles coexistent avec les bobines à l’origine de grands succès locaux.  Le propos ici est d’exposer les bobines et machineries utilisées pour tourner les films. C’est surtout l’occasion de montrer des dizaines de voitures utilisées par les grandes stars locales.

Alors si vous ne vous intéressez pas aux voitures anciennes ou aux films du Sud, passez votre chemin. Si, en revanche, l’évocation par de petits extraits de films locaux utilisant les voitures présentées vous tente. Si, les voitures elles-mêmes vous plaisent ,c’est l’occasion de passer un après-midi sympathique. Il est préférable de connaitre a minima quelques vedettes tamoul du grand écran. Vous vous formerez un peu aux noms et grands principes du cinéma local.

Mais une fois que vous aurez compris que Kollywood raffole des films de justiciers au grand cœur avec beaucoup d’action, des personnages joviaux et des stars indéboulonnables dans leur rôle de grand gentil, que les films sont ponctués de scènes dansées chantées peut être un tantinet plus folkloriques que dans la production du nord, vous aurez déjà une bonne idée de ce que vous allez voir.

reels at cinema Museum Chennai

 Laissez les grandes reconstitutions historiques et les films à très gros budget au Karnataka. Vous comprendrez ainsi mieux ce musée sympathique coloré mais pas immense. Des affiches concluent la visite de ce grand hangar converti en musée ou plutôt en hommage aux studios AVM.

6 lieux indo-sarracéniques à Chennai

 Cette fois je vous propose des lieux indo-sarracéniques pour faire suite à l’article précèdent sur l’architecture indo-sarracénique. En effet, Chennai offre un joyeux mélange de styles. Les constructions de type néo vénitiens le dsputent aux édifices maures, au palladianisme, ou au gothique français. Cet agrégat d’éléments indiens et européens correspond à la période victorienne, très amatrice de pastiches. Globalement les gares, les universités d’époque britannique adoptent cet éclectisme teinté d’exotisme. Alors où commencer l’itinéraire indo-sarracénique à Chennai ?

High court, la tour la plus haute

Chepauk Palace , premier des lieux indo-sarracéniques.

Ce palais tombe malheureusement en ruine. Néanmoins, il marque l’acte de naissance et donc l’un des lieux indo-sarracéniques incontournables. Construit en 1768, pour le Nawab d’Arcot , il cache aujourd’hui son délabrement derrière des palissades et une façade repeinte. Le nom est cependant bien connu des locaux puisqu’ il évoque le grand stade de cricket qui lui fait face. Cependant, peu de de fans de cricket savent que Chepauk marque les débuts de ce style architectural douteux mais rigolo. Les Nababs furent rapidement déplacés par les colons et relogés au Amir Mahal, dans Royapuram où les descendants de la dynastie vivent encore.

Riipon building, un gros batiment blanc à colonnes

Madras High Court, le quartier de Parrys corner

Le Bovolo de Chennai

Connu pour ses ruelles animées et ses échoppes multicolores, le quartier de Parry’s corner vaut également la visite pour ses merveilles indo-sarracéniques. Encore convient-il de lever le nez en sortant de la gare Chennai Beach. On commence avec l’extraordinaire promenade sur North Beach road. Les marchands et marins y débarquaient et il convenait d’y afficher toute la gloire et la puissance de l’Empire. Si les bâtiments tombent ajourd’hui en ruine, il vaut la peine de regarder l’extraordinaire façade de la Poste ou des banques. On y sent l’influence de Venise et notamment du fameux Bovolo.

YMCA indo sarracénique avec des fenêtres ourlées sur l'esplanade

Si l’on traverse, on tombe nez à nez avec les joyaux de la cour de Justice. Ici c’est une profusion de dômes sculptés et minarets dignes de palais de Maharadjas.

 Madras literary society et musées

Les grandes institutions officielles impériales sont les plus révélatrices du style indo-sarracénique. A Egmore, sur College road, on peut admirer deux sites principaux, l’ancien campus st Georges qui correspond à l’embryon de l’université britannique. On peut encore y visiter la Madras Literary society .

Surtout, les musées du Gouvernement offrent des exemples épatants de la profusion architecturale de l’époque victorienne. Sur le même site se succèdent le fantastique palais ourlé qui sert de galerie d’art, alors que le théâtre rond est une réplique du Albert Hall de Londres. La galerie archéologique s’inspire des pignons de brique de Kensington et de Albertopolis, quartier emblématique de l’époque dans la capitale de l’Empire.

thátre du Musée, inspiré par le Royal Albert Hall
Théatre du Musée du Gouvernement

Autour de la gare centrale

Chowdry, ancienne auberge face à la gare centrale

Là encore nous sommes dans un quartier hautement britannique et…victorien. Quoi de plus emblématiques que les gares pour exprimer la splendeur de l’Empire en effet ?

Autour de Central Railways station, les beaux vestiges architecturaux abondent. Il s’agit d’abord du plus pur éclectisme victorien si l’on peut dire, à savoir la gare centrale néo-gothique tout droit inspirée de ses contemporaines londoniennes du style Saint Pancras. Puis le Rippon Building symbolique siège du gouvernement, l’un des meilleurs exemples de palladianisme sur le sol indien. Le Victoria Hall en brique rouge semble lui aussi directement rapporté des iles britanniques. En revanche, les deux bâtiments qui leur font face le Chawdry, auberge réservée aux Brahmanes, et l’étonnante meringue blanche qui servaient d’hôtellerie pour les voyageurs appartiennent bien au style indo-sarracénique. Je m’amuserai certainement dans les prochaines semaines à écrire un peu sur ce quartier riche en architecture. Un peu plus loin, Egmore Station avec ses coupoles et dômes est une de plus jolies réussites de ce style si unique à l’Inde pendant la période anglaise.

Egmore Station, magnifique batiment éclectique

Anna Salai, Mount Road

Avec Higginbothams, la maison des détectives et tous les bâtiments en ruine, Mount Road marqua le déplacement du centre de la ville Victorienne de st Georges à ce quartier nouveau et en expansion au début du XXème siècle. Nulle surprise que les édifices de style indo-sarracénique soient ici des bâtiments à vocation commerciale.

une facade vénitienne dans Parry's Corner

Senate House dans l’ Université de Madras, et Marina Beach

Dernier soubresaut du style indo-sarracénique, Marina ou South Beach road prit le dessus sur la promenade qui devenait un lieu moins plaisant depuis que les voies de chemin de fer avaient fermé la vue sur la mer. Ce long boulevard en bord de plage se borda de bâtiments éclectiques du plus curieux effet. Parmi les gâteaux à la crème, le Senate Building, central à l’université de Madras étonne avec ses minarets, ses coupoles néo byzantines. Un pastiche complet pour mieux affirmer la puissance de l’empire à son apogée.

Après la mort de Victoria (1901) en effet, l’architecture se fit plus sage et revint à des lignes plus classiques voire à des références réellement locales comme l’immeuble néo dravidien du South Railways building. Les derniers soubresauts anglais consistèrent en des décorations baroques sur des facades classiques, correspondant au style edwardien.

facade édouardienne
la sagesse d’une facade édouardienne dans Parry’s corner

Le style indo-sarracénique

Le style indo-sarracénique désigne les bâtiments de l’époque victorienne en Inde. Sur le sous-continent d’une manière générale, et plus précisément à Madras qui présente une belle collection, on découvre avec amusement les vestiges du Raj. Ce mot hindi désigne le gouvernement colonial britannique en Inde.

 Également nommé indo-moghol ou indo-gothique, gothico-moghol ou néo moghol, ce style affecte essentiellement des monuments publics ou des bâtiments administratifs du Raj.

Formation du Raj

En 1857, la compagnie des Indes orientales qui contrôlait de larges pans du sous-continent, légitimise son pouvoir en prenant sous sa protection l’empereur moghol Shah Alam II. La rébellion des princes indiens et des soldats anglais marque la fin de l’empire moghol. Celui-ci est dissous officiellement par les Britanniques. Les territoires de la Compagnie des Indes sont alors transférés à la couronne qui implante son administration de façon officielle. La colonisation anglaise a débuté.

Pour afficher ce nouveau pouvoir tout en l’inscrivant dans la continuité de l’héritage moghol, Les architectes empruntent leur vocabulaire décoratif à l’architecture indo-islamique laissée par les prédécesseurs et inspirateurs des Britanniques. En revanche, ceux-ci empruntèrent assez peu aux temples hindous.

Vers une architecture officielle

Dans les faits, les colons construisirent des bâtiments contemporains en leur ajoutant une décoration qui leur paraissait locale. En l’occurrence, ils s’inspiraient des descriptions de l’Inde de la fin du 18e siècle. Les architectes anglais mélangèrent joyeusement ces images exotiques avec des lignes plus européennes. De fait, on retrouve le style indo-sarracénique de la Malaisie au Sri Lanka et jusqu’ aux Iles Britanniques avec l’extraordinaire Royal Brighton Pavillon construit pour George IV (1787–1823). Plus largement ,le style néo arabe se retrouve à travers l’Europe et aux Etats Unis . On peut penser ici aux bâtiments près de Brick Lane à Londres, école de mode de style néo mudéjar espagnol.

Le terme médiéval sarracène désignait les musulmans arabophones. Et les Anglais furent les premiers à utiliser le mot indo-sarracénique pour évoquer l’architecture moghole indo-islamique. Ce style mêlant grandeur anglaise et héritage indien aux yeux des colons légitimait pour eux leur présence en ces territoires.

Naissance de l’architecture indo-sarracénique

Le premier bâtiment indo-sarracénique est né à Madras, au Chepauk Palace. D’ailleurs, la ville reste un bel endroit pour voir ce style si particulier qui se retrouva également dans les deux centres de Bombay et Calcutta. Ironiquement, Madras en fut un des centres. Ironiquement, car le Tamil Nadu avait été épargné de la tutelle directe des Moghols. En outre, les détails indo-sarracéniques empruntent souvent à l’architecture rajahsthani ou même aux premières incursions turques. Mais, ils ne font aucunement référence à l’histoire tamoule.

Chepauk Palace

La majorité de ces bâtiments indo-sarracéniques remontent donc à la colonisation britannique, de 1858 à 1947, avec un pic dans les années 1880. Elle correspond en partie aux aspirations britanniques pour un style impérial et proclame le concept inaliénable de l’empire invincible. Il s’agit en général de bâtiments imposants et couteux. Les matériaux et l’ornementation demandent beaucoup de savoir-faire. On compte peu de résidences privées dans ce style.

Ce style est donc à la fois proclamatif et fonctionnel car il visait à accueillir des fonctions nouvelles. Gares, bâtiments administratifs pour une bureaucratie croissante, tribunaux, universités, tours horloges, musées. Ce sont tous des bâtiments de grandes dimensions. Souvent, ils incorporaient des méthodes constructives modernes. Même si les façades étaient souvent de pierre, la structure recourait à l’acier, au fer et au béton, puis au béton armé.

Particularités du style indo-sarracénique

Le style indo-sarracénique se caractérise par des motifs nouveaux mais aussi imités d’écoles d’architecture locales ou régionales, notamment Bengali ou Gujarati

  • Avant-toits en surplomb, souvent soutenus par des corbeaux saillants
  • Dômes en bulbe (oignon) ou toits arrondis.
  • chajja : brise soleil ou avant-toit sur un porte à faux fixé dans le mur d’origine Bengali ou Gujarati
  •  arcs en pointe,  arcs festonnés,  motifs tels les encorbellements avec de riches stalactites sculptés
  • arcs en fer à cheval caractéristique de l’Espagne islamique ou Afrique du nord mais souvent utilisé
  • Couleurs contrastantes des arches (rouge et blanc comme en Espagne )
  •  chhatri avec un dôme, kiosques sur le toit
  • pinacles, tours, minarets, balcons, kiosques
  • Pavillons ouverts ou avec toits bengali.
  • jalis ou écrans ouverts, ou fenêtres travaillées d’origine moghole.
  • Mashrabiya or jharokha-fenêtre écrans.
  • Iwans, en guise d’entrée en retrait par rapport à la façade, sous un arc.

Parry’s Corner

clocher blanc dans le jardin de l église arménienne

Parry’s Corner évoque pour les habitants et les touristes une succession de ruelles et de marchés de rue ou tout s’échange, se vend. Paradoxalement c’est aussi l’un des quartiers les plus anciens et les plus riches en architecture et il est dommage de ne s’arrêter qu’à la frénésie commerciale.

A l’origine du Madras britannique, Fort George et Parry’s Corner

A l’époque de la fondation de Chennai il n’y avait que des villages, parmi lesquels Chenna-Patnam, Madras-Patnam et Mylapore. Les Britanniques à leur arrivée fondèrent la ville de George Town, bientôt connue comme ville blanche et ouvrirent une route nord sud. Puis ils créèrent la ville noire en damier, le long de la plage avec le bazar birman. Une route menant à la prison au nord et à l’ouest à la gare centrale conplétait l’ensemble. Deux villes coexistaient donc, le fort à l’abri des murailles et au nord, la ville nouvelle au plan hippodaméen commerçante et locale avec ses temples et marchés.

 Lorsque la compagnie des Indes Orientales (EIC) grossit, elle eut besoin de comptoirs. Francis Day fut chargé en 1639 de trouver un nouveau port, non loin de l’implantation portugaise de Mylapore. Le commerce lusophone florissait depuis déjà un siècle. Le succès des Portugais, encouragea les Britanniques.

Sir Francis traversa le bastion hollandais et tomba sous le charme des lieux. Il obtint des terres du dignitaire local. Il fonda alors Fort st George pour la couronne britannique avec bureau, entrepôts et résidences pour la compagnie. Cette première ville fut pourvue d’une muraille.

Des 1600, la ville noire apparut hors des murs.  Elle résultait de la croissance mais aussi d’une discrimination entre chrétiens et locaux. Elle comptait des Telugus et Tamouls mais aussi d’autres groupes juifs, arméniens, gujaratis. Cette ville noire était dépourvue de murs. Les Français y tinrent siège en 1746 contre les Britanniques pour conquérir le trône des nawabs. Ils finirent par échanger Louisbourg, en Nouvelle Ecosse, au Canada contre Madras. Les négociants anglais revinrent alors et protégèrent la ville noire avec des armes et non des murs. Avec la colonisation en 1857, la Compagnie des Indes orientales remit ses territoires et parts à la couronne britannique.

temple et immeuble art déco dans Geogetown

Promenade autour de Parry’s Corner

Georgetown tient son nom du Roi George IV. Néanmoins, on parle du quartier comme de Parry’s Corner. Ce même si le nom désignait à la base juste un édifice commercial, d’où Thomas Parry fit fructifier ses activités.

Pour cette promenade, on peut justement partir de l’immeuble de Parry’s Corner. Ce nom correspond au second bâtiment d’affaire le plus ancien à survivre à Madras dans les années 1900. D’une riche famille, Thomas Parry, frère d’un administrateur de Georgetown, arriva à Madras. Marchand indépendant, il vendait un peu de tout, des voyages, du vin, de l’immobilier. Puis, il ouvrit une tannerie en 1905 et une, sucrerie en 1908. Ensuite, il s’associa avec William Dare. Ce partenariat fructueux prit fin dans les années 1920 lorsque Parry dut s’exiler pour des raisons politiques. Le bâtiment prit le nom de Dare mais le quartier et le sucre s’appellent toujours Parry.

facade art déco de Dare House

C’est au niveau de Dare House qu’eut lieu le siège français. En 1897, une esplanade jouxtait les murailles. En atteste un obélisque (sur les 5 existant à l’époque) et un bâtiment juridique néo-gothique. C’était une zone frontière entre les villes noire et blanche.  C’est en ce lieu que se sont développées les cours de Justice regroupant toutes les professions juridiques sur le modèle britannique mais selon le style indo-sarracénique. Ce fut surtout le centre de la ville et on y trouvait banques, commerces, institutions religieuses et administrations.

En face des dômes et pinacles d’allure néo-moghole, Dare House à l’angle, utilisé comme consulat américain a été détruit en 1908. Il a été reconstruit en acier et béton, de manière plus moderne. C’est un des rares bâtiments art déco de la ville à vocation commerciale.

Dubashi et Chetty  Street

Avant de tourner sur Dubashi Street, se dresse l’église du missionnaire John Anderson venu monter une école de filles dans St George et propager la foi chrétienne. L’église fut ensuite affiliée à l’université de Madras en 1877. Du collège, ne reste qu’un mur.

Le terme de dubashi se réfère aux serviteurs, traducteurs devenus en quelques sortes, intermédiaires, collaborateurs, agents, intermédiaires, receleurs, agents double au service des colons. Cette position avantageuse les enrichit considérablement. Ils possédaient beaucoup de terres et ont donné leurs noms aux rues. Mais ils volaient souvent les locaux. dubakul in tamul se traduit par tricher. La petite histoire raconte que pour se faire pardonner ils construisèrent de nombreux temples à travers la ville.

Chetty Street évoque en revanche les nombreux Chettiar, ces commercants qui ayant fait fortune avec les Anglais se firent batirent des palais somptueux dans le Chettinad.

Le bâtiment victorien de style vénitien rappelle les écrits de Ruskin. Il s’agissait d’une succursale d’une société de Mumbay. Construit en 1900 dans le style indo-sarracénique, l’édifice de brique possède une façade de brique et pierres aux spectaculaires vitraux et aux arcs de style venitien. La structure est néanmoins moderne et implique fer et acier, emblématiques de la révolution industrielle. Une véranda soutient le toit terrasse.

Armenian street

Cette rue prend le nom de la très belle église arménienne véritable oasis de charme dans le tohu bohu du quartier. Les Arméniens, d’abord à San Tome au Mont (ils ont financé l’escalier) sont tous partis. Mais ils étaient très prospères. Ils s’étaient enrichis grâce au commerce de la soie, des bijoux et épices. De ce fait, ils construisirent une église en 1712 plus proche de leur lieu de commerce fort st George.

Un peu plus loin se trouvent le centre catholique, un grand bâtiment art déco. A l’emplacement du parking qui le jouxte se trouvaient Benny and co ou les Arméniens vendaient leurs propriétés avant de rentrer chez eux. Cette énorme société a fait faillite. John Benny travaillait avec le nabab, il occupait de nombreuses fonctions et vendait des uniformes, fournitures de toutes sortes. Il investit dans 2 moulins, Buckingham et Karnatikam, puis à la fin du 19ème siècleune filature à Bengalore. Après l’indépendance, la société plongea du fait de la crise. Benny fut racheté dans les années 1960.

En face, la Compagnie d’assurance privée, est une succursale de celle de Bombay. Un architecte indien créa le bâtiment moderne, un des premiers planifiés en 1945 avec une entrée en angle. Le bâtiment est célèbre pour son sous-sol enterré pour les dépôts. Il recourait à des matériaux locaux. La décoration rappelait l’architecture indo-sarracénique avec le balcon de côté avec jally, le petit dôme, le joli Chatri  (kiosque) sous le toit. Aujourd’hui, la compagnie devenue LSI a été nationalisée à l’indépendance.

Un peu plus loin sur la rue, South India house, de style Edwardian offre une décoration bien différente presque rococo sur une façade toute simple.

Le Long de Beach road face au marché birman

Cette rue était l’avenue de parade bordée d’arbres et de luminaires le long de la plage avant le percement de Marina et le déplacement des clubs de plage. Avec l’ouverture de la gare, les Britanniques construisirent le long de la belle promenade, leurs plus beaux bâtiments. Les nouveaux arrivants, marchands, marins pouvaient y admirer la splendeur du Raj à travers de somptueux édifices. Aujourd’hui la vétusté et l’incurie font pratiquement oublier la grandeur indo-sarracénique de ces façades en relief. En diffère, celle du Metropolitan Magistrate court, pour les cas civils. Construite en 1892, sa façade plate ornée de mosaïques atteste combien les Britanniques consacraient un minimum d’argent pour rehausser un édifice pour les locaux.