Dakshina Chitra

Dakshina Chitra  (vision du sud) au sud de Chennai regroupe 19 maisons représentant des communautés différentes des 5 états du Sud de l’Inde. Un audio guide est en préparation auquel j’ai eu la chance de contribuer. Dans ce musée architectural, chaque maison a été patiemment démontée et reconstruite pour montrer la technicité et la diversité de l’artisanat et des coutumes.

mur esterieur maison Andhra Pradesh

Le projet d’une vie

Ce musée à ciel ouvert est le projet d’une vie pour le docteur Deborah Thiagarajan. Cette anthropologue américaine s’est installée dans les années 1970 à Chennai. Elle s’y est mariée, y a eu et y a élevé ses filles. L’une de celles-ci, l’aide aujourd’hui sur ce projet extraordinaire crée en 1984 et en évolution permanente. L’idée à l’époque de la fondation était de faire connaitre et apprécier aux Indiens sortant du colonialisme leurs propres traditions.

maison du Cherrinad avec son original toit de tuiles multicouches

Il s’est agi de trouver un terrain dans un lieu alors quasi désertique. Puis a suivi l’aménagement en un vaste musée ethnologique, un peu à la manière des villages reconstruits roumains ou suédois. Celui de Bucarest est un peu un modèle. Reconstituer les maisons permet d’étudier et de tenter de conserver des savoir-faire en perdition aujourd’hui.

Le site comprend désormais 19 maisons, la dernière a été inaugurée en octobre 2024. Il s’agit de la maison de Coorg une communauté isolée de chasseurs dans la jungle du Karnataka. On y présente l’architecture typique du lieu mais aussi les coutumes, les vêtements et les spécificités d’une communauté de 200 000 hab.

travail du bois

C’est d’ailleurs le propos que de mettre en avant des communautés spécifiques. Leurs caractéristiques sont explorées de manière à montrer l’extraordinaire foisonnement culturel de l’Inde du sud

L’Inde du sud en miniature.

Car Dakshina Chitra propose un condensé des 5 états qui constituent le sud de l’Inde. Le plan du site correspond d’ailleurs à la carte de ces régions. En tournant le dos à l’entrée, on rejoint ainsi à main gauche au-delà des jeux pour enfants, les maisons du Kerala. La remarquable liberté religieuse de cet état luxuriant y apparait. On passe ainsi de la maison chrétienne syrienne à celle du marchand musulman. La société y est tolérante mais aussi matrilinéaire. Elle accorde une vraie place à la femme. Le système pluvieux explique quant à lui les toits très pentus.

Proche de l’entrée, après le marché artisanal, se présentent les maisons à toiture travaillée du le Tamil Nadu. A commencer par une superbe maison du Chettinad articulée autour de sa cour intérieure bordée de magnifiques piliers de bois sculptés. Cette communauté de financiers s’est enrichie à l’étranger pendant la période du Raj. Malgré son apparence patriarcale, elle laissait un grand pouvoir de décision aux femmes.

cour maison du Chettinad

Plus à droite, face au restaurant, qui offre des plats typiques, des maisons de pierre d’Andhra Pradesh rappellent la pauvreté en bois de cette zone désertique.

Sur la droite se trouvent les maisons du Karnataka dont celle de Coorg déjà évoquée ainsi qu’un espace d’exposition.

maison du tisserand Andhra

Dakshina Chitra, un lieu de culture vivante.

Dakshina Chitra se veut une vitrine vivante de la culture dravidienne. Outre les reconstitutions, le site accueille donc des artisans. Ainsi, la maison du tisserand dans le Tamil Nadu permet elle à une famille financée par l’entreprise textile Sundari Silk de montrer son travail et surtout sa manière de procéder.

Outre l’artisanat permanent, le site accueille de nombreux événements. Chaque grande fête est l’occasion d’une célébration. Pour Onam, une fête de moisson typique du Kerala, des troupes de danseurs se succèdent alors que le restaurant propose des plats adaptés. Pongal est également l’occasion de manifestations culturelles, expositions, chants danses, films documentaires.

De nombreuses publications ciblées sont disponibles à la boutique du musée qui malgré son aspect chaotique recèle un certain nombre de trésors. Enfin les différentes maisons abritent des collections permanentes comme l’écriture à la maison du Chettinad) ou temporaires, comme à la maison du Kerala.

maison Andhra Pradesh

Bref un lieu ou venir et revenir pour mieux comprendre le sud de l’Inde.

intérieur maison du tisserand

 

Bibliothèques de Madras

Aujourd’hui je vous emmène découvrir des Bibliothèques de Madras plus ou moins connues . Pour l’ensemble on peut y accéder entre 10 et 17h les jours de semaine. Certaines valent le coup pour l’édifice, d’autres incitent davantage à l’étude ou la lecture.

la Société littéraire, l’une des plus belles Bibliothèques de Madras

J’avais déjà accordé un article à ce lieu extraordinaire niché dans l’ancien campus st Georges . Extraordinaire non pour les livres, en piteux état, mais pour les bâtiments indo-sarracéniques.

Le bâtiment a besoin de restauration mais l’architecture n’en reste pas moins exemplaire de la présence britannique à Chennai. Elle allie la modernité (pour l’époque) des rayonnages coulissants métalliques à l’aspect traditionnel des jalis et autres fioritures néo mogholes affectionnées par les colons. A remarquer également quelques œuvres hors du commun comme l’original de Ponyam Selvan par Kalki Cette bibliothèque est tenue par un trio d’amateurs zélés et adorables.

Bibliothèque Rameswari

Peut être la plus méconnue des Bibliothèques de Madras, la Bibliothèque Rameswari se niche dans l’ arrière-cour d’une école sur Ednam road. Elle se situe derrière la Shakuntala Art Gallery,. Elle se cache à l’écart de la circulation importante de ce quartier central de la ville (quasi en face du Kauvery Hospital, face à l’échangeur de TTK road).

C’est une bibliothèque ancienne et privée malgré tout mieux dotée que la Madras Literary Society et surtout beaucoup mieux entretenue. Elle se dresse à l’emplacement de la maison familiale du défunt mécène et homme de loi Rameswari qui a tant fait pour sa ville.

Les salles donnant sur rue servent souvent pour des expositions, voire des ventes. Mais il ne faut pas hésiter à prendre la petite entrée de droite pour demander ce que le centre culturel propose. Derrière la grande salle de conférences on découvre une jolie cour couverte comme les maisons typiques en recèlent puis, à l’étage, une fantastique bibliothèque.

Avec un peu de chance, le bibliothécaire vous emmènera de pièces en pièces découvrir les trésors cachés. On commence par des ouvrages vieux ou désuets de géopolitique ou d’économie dans la salle de lecture. En traversant un petit toit, on atteint la salle de fumigation, lieu étonnant ou sont traités les livres, atteints de maladies rares et certainement transmissibles. Ce couloir débouche sur une ravissante salle ancienne. L’on pénètre vraiment le saint des saints avec des ouvrages rares et/ ou en restauration. Feuilles anciennes ou volumes au cuir dépecé jouxtent des meubles et gravures d’un époque révolue.

La Connemara Library

Ce grand bâtiment se dresse dans l enceinte du musée du Gouvernement.  Réputée pour la beauté des lieux elle risque décevoir le visiteur en quête de beaux lieux.

En fait, la bibliothèque Connemara se situait à l’origine dans l’un de plus beaux bâtiments indo-sarracénique du complexe. C’est ce bâtiment qu’évoquent les articles en ligne et non l’actuelle bibliothèque sans grâce. La construction des années 1970 attire aujourd’hui les étudiants et chercheurs et nullement les visiteurs plus intéressés, à juste titre, par la collection de bronzes cholas ou par le théâtre. Néanmoins une passerelle intérieure relie ce bâtiment moderne à l’une des merveilles du Raj, la fameuse bibliothèque Connemara, la vraie. Celle-ci n’est malheureusement pas accessible au public.

Faiblement ventilée, l’aile moderne, ouverte au public et répartie sur plusieurs étages n’est pas de plus attirantes pour l’européen en mal de lieu exotique. Juste derrière un magasin vend des livres en tamoul. Il ne peut pas rentrer en compétition avec la merveilleuse librairie Higginbothams.

Anna centenary Library

Nous voici maintenant devant la grande des bibliothèque de Madras.

Cette fois, il s’agit d’une bibliothèque moderne puisque son inauguration remonte à 2010. Des conférences y ont lieu régulièrement. L’immense et confortable auditorium accueille des évènements que l’on peut suivre sur le site. Contrairement aux deux premières, c’est une bibliothèque publique donc mieux dotée et financée. Elle compte 9 étages, un auditorium. Une grosse section de livres en anglais.  Pour le reste tout est écrit en tamoul et il n’est pas forcément aisé de naviguer dans cet énorme vaisseau silencieux et impeccable. Un vrai oasis de quiétude propice à l’étude dans cette ville bruyante et poussiéreuse.

Park Town

Park Town s’adresse aux nostalgiques d’une Chennai coloniale. L’histoire anglaise de Madras commence à Fort St George en 1639. A la forteresse s’ajoute rapidement Georgetown.

 Qualifiée à l’époque de ville noire, elle suit un plan en damier.  Cette « ville ouverte » accueille les locaux mais aussi tous les étrangers. On la connait aujourd’hui sous le nom de « Parry’s Corner ». Rapidement la colonie britannique s’étend et va conquérir les territoires arborés à l’ouest de la forteresse, bientôt transformés en parcs bordés d’édifices administratifs.

Une colline disparue

Cette zone, située à l’ouest du fort, se caractérise à l’époque du Raj par une colline boisée, Hog Hill. Les Britanniques conserveront d’ailleurs des espaces verts dans ce nouveau quartier. Deux grands parcs, Town Park et People’s Park en assurent la fraicheur.

Ce quartier jouxte le village de Periamet. Ce nom signifie village douane, autrement dit le lieu où l’on taxait les marchandises qui rentraient en ville. Le long du chemin qui menait à Poonamallee aujourd’hui connue sous le nom de EVR salai, on arrasa la colline pour y construire Memorial hall. Cet édifice en piteux état affecte une forme de temple grec. Juché sur un podium, il commémore la fin de la révolte des Cipayes et le passage de la Compagnie des Indes orientales à la couronne britannique.

Dans sa continuité (en fait en traversant la rue), on tombe sur le grand bâtiment des chemins de fer du sud de 1922. Celui-ci adopte un style néo dravidien intéressant. Pour une fois, le Raj semble faire cas des spécificités architecturales régionales. La grande bâtisse de granit ne comporte pas d’arches. Elle s’inspire en revanche des temples du Tamil Nadu. On ne peut en dire autant de la gare centrale.

 construite sur le modèle néogothique des grandes gares londoniennes. On retrouve les lignes victoriennes dans cet édifice de 1896 surmonté d’une grande tour emblématique en 1959. La gare s’ouvrait sur le grand hôpital.

Chennai a semble-t-il toujours été la capitale médicale du sud de l’Inde. Sur le côté, aujourd’hui occupé par une grande dalle moderne très plaisante, se trouvait à l’époque coloniale le grand marché Moore dont les bâtiments indo-sarracéniques ont malheureusement disparu.

Que reste-t-il de Park Town

Aujourd’hui le terme de Park Town désigne un quartier. A l’époque du Raj il s’agissait d’un parc dans une zone planifiée. En revanche, le Victoria Public Hall conçu pour être un lieu de spectacle subit une rénovation complète. Les fenêtres en arc de cercle d’inspiration néo-romane contrastent quelques peu avec la tour aux accents gothique mais l’ensemble est plutôt convaincant. Elle fait face au Ramaswamy Choultry .

 qui hébergeait les voyageurs Hindous. En revanche, le Siddique Sarai blanc accueillait lui les musulmans. Des boutiquiers occupent aujourd’hui la dentelle Moghole. Le reste du terre-plein autrefois occupé par le parc de la ville qui a donné son nom au quartier a malheureusement disparu, avalé par la pression immobilière.

Néanmoins, l’énorme Ripon building bâtiment de la corporation de Chennai (mairie) subsiste et projette son énorme vaisseau blanc illuminé le soir. Cette tarte à la crème s’inspire lointainement de la magnifique basilique de Palladio. Mais surdimensionnée, elle n’en a ni la grâce ni l’élégance. Devant l’on distingue des statues, presque à l’angle de la rue Sydenham, dont celle noire du gouverneur qui a donné son nom à l’édifice. Les illuminations nocturnes donnent cependant une certaine grandeur au lieu.

People’s Park

Ce quartier s’est construit à l’emplacement d’une forteresse avancée à l’extérieur de fort st George. Comme George Town, il a été planifié. Ces projets d’urbanisme sont aujourd’hui perdus dans la ville moderne. La circulation, les destructions et reconstructions sauvages font en effet oublier la volonté d’une avenue de parade à la sortie de la gare bordée de rues plus commerçantes.

Ainsi le long de Sydenham, se succèdent les façades de maisons de la fin du XIXème siècle ornées de balcons, de toits terrasses (dit toit Madras même s’il s’agit essentiellement de toits terrasses ornés de balustrade). Le People’s Park a été englouti lors de la construction du stade Nehru. Il en reste une maigre bande de jardin. Même le zoo a été repoussé hors des limites de la ville pour faire face à la folie constructive. Les musulmans se rassemblent autour de la petite mosquée et ont fait de cette zone le cœur palpitant du commerce du cuir à Chennai.

Art Deco Chennai

On trouve l’art Deco dans de nombreux lieux à Chennai. Il a investi les quartiers lotis dans les années 1940 ou 50. A la différence des autres styles architecturaux, néogothique, indo sarracénique voire palladien, il n’est pas inspiré par les Anglais.

L’art Deco à Chennai, un developpement tardif

Contrairement à la France, son berceau entre les deux guerres, l’art Deco touche l’Inde et Chennai en particulier tardivement. Il aborde dans les ports, Chennai, Bombay et Calcutta seulement dans les années 1940. Il vient alors des Etats Unis et emprunte au continent américain des symboles ou formes inconnues en Europe. Ainsi la rose iribe, motif typiquement parisien des années 1920 ne s’y voit pas. En revanche les images plus géométriques, inspirées par l’automobile, empruntent largement à l’iconographie américaine, comme les triglyphes.

Les lignes modernes s’intègrent dans des quartiers nouveaux en attente d’urbanisation. Souvent, la maison est construite mais dans l’attente d’infrastructures qui peinent à arriver. Routes, parcs voire système d’adduction d’eau tardent le plus souvent.

L’art Deco se manifeste à Chennai par des lignes simples et géométriques. Mais aussi des escaliers, des piliers, des porte à faux  et des grilles. On le trouve  dans les quartiers de Royapettah, Mount Road ou Thyagaraja Nagar, Bose Road, Parry’s corner, CIT Colony, Gandhinagar,Mylapore. Il vise la modernité dans les espaces , comme les salles de bain ou cuisines souvent rejetées vers le fond. Cette modernité concerne aussi les matériaux utilisés, béton armé, motifs préfabriqués, grandes vitres. Elle est à l’origine de formes et motifs. Comme des formes de paquebot, sobres bandeaux de couleur unie, porte à faux, bâtiments d’angle arrondis.

Bien que tard venu, l’Art Deco se développe sur une bonne vingtaine d’années à Chennai. Il finit par toucher une clientèle de plus en plus populaire et par « indianiser » les motifs. Aux parapets et piliers géométriques va s’ajouter le motif local du soleil levant dans le jalis. Le jalis, cette dentelle de pierre, remonte, elle, à l’architecture moghole.

Une clientèle privée à la composition familiale particulière

L’une des premières constructions art Deco de Chennai  est l’horloge de Royapettah. Elle date des années 1920.

En général, l’art Deco à Chennai concerne davantage les résidences privées que les édifices publics. En dehors de quelques rares sièges manufactures, banques ou assurances, il s’adresse essentiellement à une clientèle privée. Il est pourtant apparu tout d’abord dans les théâtres et cinémas. Mais ceux-ci ont souvent disparu.

En revanche, la clientèle aisée des années 1940 se faisait construire des maisons sur des parcelles dans des faubourgs ou quartiers récemment annexés. Le modèle constructif correspond le plus souvent au bungalow. Cette maison individuelle s’inspire de la maison précoloniale traditionnelle du Bengale d’où son nom. Popularisée par les militaires pour son caractère pratique, elle se dresse en général au centre d’une parcelle. A la base, il s’agit d’une maison de plain-pied. Elle sera souvent rehaussée voire agrandie avec le temps. Elle s’orne assez régulièrement d’un toit terrasse, d’un porche ou d’une loggia

A Chennai, l’art Deco s’adapte aux contingences locales dans les quartiers nouveaux marqués par la croissance urbaine. Il correspond également à un modèle familial particulier. Contrairement à la cellule nucléaire occidentale, le noyau indien repose sur la « famille jointe ». Les grand parents coexistent avec les enfants, frères et sœurs et petits enfants. Des maisonnées complexes s’articulent souvent autour d’une grande cuisine et d’une grande pièce commune. Chaque génération bénéficie ensuite de son espace. 

L’Art Deco en danger à Chennai

Dans les années de gloire, l’art Deco exprimait une défiance face a la couronne britannique. Peu courant en Angleterre en effet, il tranchait courageusement avec l’esthétique établie par les architectes de la couronne. Les bâtiments coloniaux affectaient en effet les styles palladien, néo gothiques ou encore indosarracénique . Lors de mes visites londoniennes, j’avais rendu compte d’une rare construction art Deco dans la capitale britannique. L’art Deco, venu en Inde par le truchement des Etats Unis, reflétait en revanche les aspirations indépendantistes des « freedom fighter ».

Aujourd’hui hélas, un grand pourcentage de ce magnifique patrimoine se détériore. Les propriétaires historiques sont soit morts, soit trop âgés pour entretenir leurs demeures. Souvent issus de familles huppées, les enfants sont souvent partis faire leurs études au loin. Emigrés en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, ils n’en sont pas toujours revenus. Les maisons ne sont plus toujours entretenues et se voient souvent soumises à des destins malheureux. Dans le meilleur des cas, celui où la famille est restée à peu près au complet, elle a jugé plus simple de détruire la vieille demeure art Déco pour lui préférer un immeuble familial où chaque génération occupe un étage.

Certaines maisons, en ruine, sont démantelées et offertes à des promoteurs immobiliers peu soucieux de préservation. D’autres, décrépies, finissent par s’écrouler complètement. D’autres encore, ont subi de tels agrandissements ou restaurations abusives qu’elles n’ ont rien conservé de leur gloire passée. Malgré les efforts de quelques propriétaires ou d’associations, rares sont les joyaux art Deco à nous parvenir en bon état. Il faut souvent traquer le pilier qui indique la limite de la propriété d’antan, le parapet, ou la tour centrale verticale parfois rhabillée, voire  le nom gravé du premier propriétaire pour se souvenir de ces splendeurs passées.

T.Nagar

Le nom de T.Nagar évoque aujourd’hui les lumières et bazars de la société de consommation. Magasins de tissus et  bijoutiers s’y succèdent sans interruption. Ce quartier considéré comme la Mecque du sari recèle néanmoins de véritables trésors d’architecture résidentielle.

T.Nagar, un quartier crée dans les années 1920

T Nagar a été crée dans les années 1920 en réponse à la croissance démographique. Exode rural et baisse de la mortalité expliquent l’accroissement de la population à Chennai à cette époque. Le petit village de Mambalam extérieur à la ville britannique a alors été annexé et urbanisé.

C’est aujourd’hui un des quartiers les plus prospères de Chennai au niveau commercial et immobilier. Cette explosion économique se fait malheureusement souvent au détriment du patrimoine architectural. Les maisons art Déco du quartier présentent en effet un mélange unique d’ingrédients locaux et d’influences étrangères.

Au début du XXème siècle, cet endroit vierge correspondait à un réservoir. Pour répondre au besoin de logements on y a construit des maisons surélevées pour se prémunir contre l’humidité. Leurs remplacements construits à la va vite à des fins spéculatives n’ont souvent pas tenu compte du terrain. D’où des inondations terribles en période de pluies.

Il s’agit de l’une des rares zones de Chennai à avoir fait l’objet d’une planification. Chaque quartier s’est loti autour d’un parc et de rues avec la volonté de conserver des espaces verts. Cette volonté inédite d’urbanisme s’est accompagnée d’idées nouvelles pour l’époque. Les plans initiaux incluaient des espaces verts, de la lumière, des routes et un système d’adduction d’eau.  

Le drainage du lac  (8km x1km) a ainsi commencé en 1923 dans cette zone aérée pas trop éloignée de la gare de Mambalam. On lui a conféré le nom du chef de parti T.Nagar ou Theagaraya Nagar.

L’art Déco à T.Nagar

Pour découvrir le beau patrimoine art Deco, on peut partir de Pondy Bazar. Cette grande avenue, dessinée, parait-il,  sur le modèle des Champs Elysées tient son originalité à la présence de grands trottoirs bordés d’arbres. De part et d’autres de l’avenue, se succèdent les boutiques de vêtements. Avant  le parc au bout de la rue avec son arc de triomphe, petite réplique de Paris, on prend une des rues de droite. On va alors gagner le parc Jeeva Vanandam ou JV park du nom d’un chef communiste respecté. Tout autour de ce jardin, des rues ont conservé un héritage art Deco malheureusement en péril.

Dans ce quartier, on trouve encore nombre de bungalows. Ces maisons prennent modèle sur les demeures coloniales construites par les militaires anglais au Bengale. Elles s’inspirent  des pavillons à loggia. Malgré le traditionalisme des structures, elles affichent un modernisme des formes, des motifs et des méthodes constructives (béton, éléments préfabriqués, acier). Dans la distribution des espaces, elles reflètent aussi une aspiration au modernisme.

Ce quartier nouveau ne compte pas de temples, fait rare à Chennai. En revanche, les maisons s’étendent sur de vastes parcelles. Elles ont souvent été agrandies pour répondre à la croissance des familles y résidant.

Dans la rue Lakshmanan, on passe devant la maison Savrithi. Cette famille de Mylapore  commercialisait le lait. Elle déménagea durant la première guerre mondiale  et revint s’installer ici dans des volumes en expansion pour satisfaire les besoins croissants de la famille. La nouveauté de la maison résidait dans les salles d’eau, rejetées à l arrière mais aussi le bureau avec 2 entrées, une intérieure, une extérieure, la véranda, une cuisine et une salle à manger. Les lignes de paquebot se voulaient résolument modernes. La maison affectait une élégance nouvelle avec une décoration simple aux lignes pures et géométriques et aux bandeaux de couleurs. L’arrondi de la véranda n’est pas sans rappeler la Dare House à Parry’s corner. Tout comme la verticalité. D’autres maisons art Deco l’entouraient . Beaucoup ont malheureusement disparu.

Un patrimoine en perdition

Souvent ne subsistent qu’une plaque, un parapet, la verticalité accentuée d’un escalier , des fenêtres bandeaux, mur bas de limite de la propriété. Ce n’est que plus tard qu’apparurent les grilles ouvragées. La maintenance de ces maisons est souvent trop onéreuse pour des propriétaires de plus en plus âgés et dont les enfants ont fait leur vie à l’étranger. Nombre de ces constructions tombent  en ruine ou entre les mains de spéculateurs peu soucieux de patrimoine ou peu scrupuleux.

Plus loin, et plus tardivement, des maisons plus petites empruntent le même type de vocabulaire architectural  mais préfabriqué. Dans ce cas, on assiste  dans les années 1940/60 parfois à des mélanges étonnants. Les porte à faux voisinent avec des colonnes ou des guirlandes de rinceaux. Les balcons s’agrémentent de grilles ouvragées ou de jalis de pierre. Ceux-ci vont devenir la marque de fabrique de l’indo Deco, variation locale et plus tardive de l’art Deco . Ce mélange de genres fait la part belle aux influences américaines et hindoues. Car avec le développement des idées indépendantistes, les propriétaires voulurent exprimer l’amour de leur nation sur leurs façades.

Relativement proche du centre de la ville, T.Nagar s’affirma rapidement comme un quartier bourgeois habité par des gens originaires du Telangana d’où le surnom de Telougou Nagar. Les noms des rues rappellent en fait ceux des chefs politiques, personnages et fonctionnaires importants, de tous ceux qui ont compté dans le quartier. 

Mon Itinéraire dans T.Nagar.

Textiles

Chennai et les Textiles

La ville de Chennai est née des textiles. C’est pour s’emparer des précieuses cotonnades que les Britanniques ont décidé au XVIIème d’installer un fort. Les Hollandais, Danois et Portugais puis bientôt les Français se disputaient déjà la côte de Coromandel.

Si le Kerala devait sa réputation aux épices, la côte orientale, elle, tenait la sienne des cotonnades révolutionnaires pour une Europe abonnée aux vêtements de chanvre, lin et laine.

Chennai, La fondation d’un comptoir pour les textiles

Les Anglais prirent peu à peu possession des lieux.  Au XVIIe siècles, ils bâtirent d’abord le fort bientôt nommé selon le Saint patron de l’Angleterre st Georges. Cet établissement ne doit rien à la couronne mais à la Compagnie des Indes orientales. St Georges fut en fait la première fondation britannique sur le sol indien. Rapidement, elle prit le contrôle de l’extraordinaire production de tissus locaux. Car les Indiens avaient mis au point des techniques ingénieuses pour fixer les couleurs et les motifs.

Rapidement, les tissus indiens prirent plus d’importance que les épices dans les échanges internationaux.  A la fin du XVIème siècle, la Compagnie des Indes orientales assura la promotion de ces cotons pour vendre des sous-vêtements puis des vêtements, plus lucratifs que les riches soieries. Les Britanniques échangeaient alors des textiles bruts contre des denrées alimentaires.

Ces « indiennes » devinrent si prisées dans l’Europe du XVIIe que les gouvernements européens légiférèrent pour en limiter voire en interdire l’importation. De ces prohibitions sont nées les grandes manufactures françaises, notamment les toiles provençales ou les toiles de Jouy.

Une production textile encore impressionnante

Avec la révolution industrielle et l’invention de la vapeur, le tissu anglais se mit à concurrencer dangereusement les fabrications d’indiennes. Jusqu’à ce que l’Empire décide d’implanter des usines autour de Manchester au XIXème siècle. Ce qui ruina les manufactures en Inde. Pourtant avec les délocalisations de la fin du XXème siècle, les usines textiles ont repris de la vigueur dans le sous-continent.

Chennai reste le centre commercial de cette industrie éparpillée dans les campagnes et les provinces. Si la soie est toujours liée à la ville de Kanchipuram et les cotonnades davantage à la région de Pulicat, le nom de Madras demeure synonyme pour les Français de ces toiles légères et colorées que l’on trouve principalement aux Antilles. Car paradoxalement on trouve peu de ces carreaux en Inde d’où ils sont pourtant originaires. C’et pour contrer la prohibition européenne qu’ils furent directement envoyés dans les Amériques pour habiller créoles et esclaves.

Le quartier de T Nagar construit dans les années 1920 a l’emplacement d’un réservoir est aujourd’hui synonyme de marché aux tissus.

 Il regorge de magasins historiques vendant des kilomètres de soieries et de cotonnades. Ce quartier bruissant d’animation devient extrêmement encombré dans les périodes auspicieuses. Les familles s’agglutinent alors dans les magasins pour acheter saris et bijoux susceptibles de vêtir mariés et convives.

Double exposition

L’écriture de mon livre les Lettres Tamoules a donné lieu, en attendant mieux, à une double exposition.

Première Exposition, à l’Alliance française de Madras

Entre les 22 et 28 mars 2024, l’Alliance française de Madras m’a gentiment prêté ses locaux.

 A ce titre, je remercie ici sa Directrice, Dr Patricia Thery Hart. Dans la belle Galerie 24, j’ai ainsi pu exposer, pendant près d’une semaine, les œuvres de mes amies Mélanie et Catherine.

 Dans le cadre de la Francophonie, la salle d’exposition s’est transformée en un lieu de conférences. Durant ces quelques jours, j’ai eu l’occasion d’expliquer à un public varié l’objet du livre. Des groupes francophones et français ont découvert les lettres de l’alphabet tamoul. Les anglophones se sont davantage intéressés à la découverte des spécificités locales. En revanche, les Tamouls se sont amusés de nos incompréhensions ou de notre vision en tant qu’occidentaux.

Cette exposition a été l’occasion d’échanger sur les nombreux particularismes de la vie au Tamil Nadu. Il a bien sur été question de la beauté et de l’originalité de la langue et de l’écriture tamoule. Nous avons pu également parler de la gastronomie si particulière du sud de l’Inde. L’architecture dravidienne, typique des sites anciens a également été abordée. Nous avons aussi pu évoquer l’uniformisation voulue par les Anglais.

Cette magnifique galerie a permis d’accrocher une soixantaine de dessins, lavis et aquarelles sur des murs blancs, repeints ou percés pour l’occasion. La semaine suivante Jean François Lesage et ses fantastiques broderies étaient l’hôte des lieux.

Seconde Exposition à la Madras Litterary Society

Du 23 au 27 Avril 2024, ce sont les locaux anciens de la société littéraire de Madras qui accueillent une vingtaine de fac simile. Les dessins du livre ornent cette semaine les locaux décrépis de ce bâtiment indo-sarracénique.

Tout ici st resté dans son jus. Et l’accrochage, déjà folklorique à l’alliance française, est devenu un véritable bricolage. Car organiser une exposition en Inde implique disponibilité, bonne humeur et beaucoup de patience.

Car bien sur rien n’est fourni ici. Je ne parle pas des cadres mais des clous, des supports, des marteaux. Il faut venir avec son papier et ses crayons pour d’éventuels cartels. Du scotch et des punaises. Et des chiffons et éponges pour opposer une légère résistance la poussière. A moins d’accepter de coincer ses cadres en lévitation au moyen de ficelles.

Mais dans ce pays ou une bonne partie de la population vit dans des conditions épouvantables, comment se plaindre de ne pas pouvoir exposer décemment. Comment refuser à ces demandes d’aide si souriantes ? Venir exposer à la Madras Litterary Society., c’est je l’espère, donner un peu de visibilité sinon à mon livre et aux dessinatrices qui ont accepté avec tant de talent de l’illustrer. Mais c’est aussi et surtout essayer de faire venir un public un peu plus large dans ces lieux chargés d’histoire,…et de poussière… Peut être l’occasion de fair fleurir quelques donations pour aider cette bibliothèque à survivre.

En attendant une prochaine exposition, certainement dans d’autres conditions à Singapour, Arab Street autour du 15 Mai.

Egmore Museum

Le Egmore Museum ou musée de Chennai, occupe une dizaine de bâtiments éparpillés dans un grand espace arboré du quartier de Egmore. Les édifices les plus anciens, de style indo-sarracénique, ont été complétés par des constructions plus récentes.

Histoire de Egmore Museum

L’idée d’un musée de Chennai date de 1846 et émane de la société Littéraire de Madras. Dans un premier temps on logea sur le campus st George les 1100 spécimens géologiques.

Les collections s’accrurent régulièrement. Face à la détérioration des lieux et à l’exiguité, le musée déménagea de College Rd à Pantheon Rd dans les Assembly Rooms dans lesquelles l’élite de la ville se retrouvait pour des banquets, bals, conférences à la fin du XVIIIe s.

Dès 1853, une bibliothèque publique s’organisa dans les locaux du Musée. En 1862, commencèrent les travaux de construction d’une salle de lecture. Ouverte en 1896, elle prit le nom des ancêtres du gouverneur de Madras, Lord Connemara. Construite sur les plans de l’architecte Irvin, elle s’enorgueillissait de beaux rayonnages de tek et d’une imposante tour (la plus haute de Madras alors) détruite en 1897 car elle s’écroulait.

Après le centenaire du musée en 1951, un nouveau bâtiment fut construit pour héberger l’exceptionnelle collection de bronzes, ainsi qu’un autre dédié à la conservation. 1963 vit aussi l’ouverture de la galerie des oiseaux. En 1984 la galerie d’art contemporain s’ajouta aux édifices et en 1988 le musée des enfants.

Aujourd’hui, Egmore Museum s’organise en 7 édifices distincts avec des collections disparates.

7 bâtiments pour des collections disparates

  • Le premier, une sorte de délicieuse pâtisserie, abrite la billetterie. Tout à côté, un grand panneau donne le code QR d’une remarquable visite guidée enregistrée par Story trail.
  • Vers la droite de la billetterie, La bibliothèque Connemara occupe un bâtiment plus moderne aux lignes vaguement art déco.  Elle accueille les chercheurs et les étudiants. Il s’agit d’une adjonction au bel édifice ancien vanté par les guides mais caché derrière le théatre.
  • Un magnifique bâtiment rond sert de théâtre. Sa restauration vient de s’achever. Bati sur le modèle du Royal Albert Hall de Londres, c’est une petite merveille architecturale mêlant les influences anglaises à des accents indo-sarracéniques.
  • En contournant le théâtre, on accède à un bâtiment de style flamand. Avec pignons de briques rouges. Ce style est emblématique de l’architecture de Kensington, le quartier de Londres bâti à lé poque victorienne dans le but de créer une enclave culturelle, l’Abertopolis. Cet édifice abrite la collection archéologique. Le rdc expose des collections de marionnettes de toute l’Inde, mais aussi des vases de terre néolithiques. Au premier étage, le palier orné d’un beau plafond victorien, distribue vers la section anthropologique et vers les salles consacrées à la civilisation harappéenne.

-Plus loin encore, se dresse le bâtiment consacré à la monnaie. Les collections numismatiques font en Inde l’objet de soins considérables

– derrière cette magnifique construction de brique rouge, un triste parallélépipède de béton annoncé par un dinosaure en plâtre abrite l’amusant musée des enfants. Des vitrines y regroupent de petites poupées évoquant les autres pays du monde selon une vision indienne.

– enfin le dernier bâtiment, lui aussi moderne et sans grâce, abrite la collection de peintures. Des croutes poussiéreuses égrènent les gouverneurs qui ont marqué la présence coloniale.

La statuaire de pierre

  En contournant le théâtre, on parvient au bâtiment principal abritant les sculptures de pierre puis au pavillon abritant les bronzes cholas. Le bâtiment principal du musée d’Egmore présente au rdc une belle rétrospective des statues des périodes historiques le plus emblématiques du sud de l’Inde. On y admire des statues datant des Pallavas, des Cholas puis des Vijayanagars.

A l’étage, une section est consacrée à l’épigraphie. Elle présente dans une petite salle les premières formes d’écriture consignées sur la pierre mais aussi sur des tablettes de cuivre ou des feuilles de palmier. Un couloir mène aux vestiges les plus impressionnants, comme les sculptures bouddhiques d’Amaravati. De là, on accède au fouillis typique des musées victoriens avec des salles consacrées à la faune et à la flore locales. Des vitrines sur la soie alternent avec des animaux empaillés au siècle dernier ou des fossiles. Des salles de paléontologie suivent en enfilade celles représentant l’habitat des bestioles du cru. La muséographie n’a pas changé depuis le départ des Anglais et le ménage doit remonter à peu près à la même époque.

Juste derrière le jardin de sculptures se dresse le pavillon des bronzes cholas.

Les Bronzes cholas, stars du musée de Chennai

La collection des bronze cholas a été refaite récemment, c’est-à-dire il y a moins de 50 ans. Elle jouit de lumière et d’air conditionné. La salle plongée dans le noir met en scène dans des vitrines éclairées (je le souligne car ce luxe électrique est unique dans les musées de Chennai) les plus belles pièces du musée. Il s’agit de statues de bronze de petite taille représentant les dieux hindous. Elles remontent à l’âge d’or des Cholas entre les XIII et XIVème siècles.

Cette dynastie brilla alors sur le sud de l’Inde depuis sa capitale Tanjore. Les Cholas sont restés célèbres dans l’histoire de l’art pour leur maitrise du bronze à la cire perdue. Il s’agit ici de la plus belle collection au monde. Certains de ces chefs d’œuvres viennent de rejoindre la magnifique salle de la galerie nationale, le plus beau bâtiment du musée de Chennai. De style indo-sarracénique, voire Gujarati, celui-ci évoque les splendeurs des palais de maharadjas.

Comme vous l’aurez compris tout n’est pas incontournable dans ce musée poussiéreux et il n’est pas forcément facile de s’y orienter. Néanmoins certaines sections valent la visite, notamment la galerie des sculptures et celle consacrée aux bronzes cholas.

Saint Georges

Saint Georges est le Saint sous l’invocation duquel se placèrent les premiers colons britanniques.  Il devint patron de leurs Iles durant les croisades car il personnifiait les idéaux chrétiens des chevaliers. On le représente le plus souvent avec une croix rouge. Le martyr du jeune homme blond fougueux terrassant le dragon a eu lieu sous Diocétien, en 303. Longtemps après, le tout premier fort de Chennai a pris son nom. Celui-ci remonte aux Anglais lorsqu’ils ont décidé de s’installer dans le hameau de Madras-Patnam au XVIIème siècle. Bien que décapité, Georges est resté si l’on peut dire à la tête des colonies de sa gracieuse majesté.

Fort Saint Georges

La plus ancienne église anglaise de Chennai est Ste Marie dans l’enceinte du Fort Saint Georges. Dans les faits, les paroisses portugaises du XVIème siècle préexistaient à cette romantique construction de 1680. Les missionnaires portugais avaient déjà repris le flambeau de l’apôtre. Ils avaient ainsi tenté d’imposer la foi catholique du côté de Mylapore et d’y installer un comptoir commercial. Pourtant, Ste Marie apparait encore dans les documents comme la plus ancienne église de Chennai. Ce qui n’enlève rien à son charme suranné. La construction, de style palladien, reprend au classicisme vénitien ses colonnes et sa symétrie. Mais la blancheur a fané, les boiseries se sont écaillées. La vannerie des dossiers est mangée par les rongeurs et l’humidité. Les pigeons souillent le sol et le tout respire l’infinie tristesse d’une ère passée.

Elle évoque la fondation du Fort le jour de la Fête du Saint patron de l’Angleterre par Francis Day. Cet envoyé de la Compagnie des Indes orientales y fonda un petit fort commercial. Il visait à concurrencer les Européens établis sur la côte de Coromandel. Pour ce faire, il acheta au Nayak local ce petit morceau de terre en bord de plage. Puis, il y établit ce qui allait devenir le centre d’un empire et d’une incroyable réussite économique pour Les Anglais. Pourtant, le fondateur a quasi disparu des registres et des mémoires.

Clive, Yale, Wellington, ont marqué le petit Fort Saint Georges

Du premier comptoir, subsistent quelques maisons en piteux état. Celle de Clive, le Gouverneur sans scrupule qui devint l’homme le plus riche d’Angleterre. Celle où passa Wellesley également. Futur vainqueur de Napoléon, il y connut ses premières victoires et devint quelques années plus tard le célèbre Wellington . Peu de gens se souviennent également que le premier gouverneur de la petite colonie est resté dans l’histoire. Celui-ci légua une toute petite partie de la fortune amassée à Madras pour fonder une petite université américaine. Brave Monsieur Elusha Yale.

L’Eglise Saint Georges

Plus austère, mais néanmoins tout aussi palladienne d’inspiration, l’église Saint Georges se cache derrière le consulat américain. Elle aussi devait se trouver dans un magnifique parc aujourd’hui malheureusement utilisé comme parking. Elle s’inspire très largement de St Matin in the fields à Londres. Avec ses colonnes classiques surmontées d’un clocher pointu elle ne déparerait pas dans le ciel londonien. Mais la couche de blanc un peu décrépi de la façade, les ventilateurs fatigués, les bancs recouverts d’osier et les pigeons voletant dans la nef nous rappellent que la paroisse anglaise s’est largement tropicalisée. Les feuilles de palmier traversent les jalousies ouvertes.

Mais le plus émouvant se trouve à l’extérieur dans le cimetière nostalgique. Ses tombes fracturées par les racines de banyans exposent avec détails la vie de colons morts en ces terres inhospitalières. On y lit des histoires d’officiers décédés au combat. On découvre des veuves courageuses. Des souvenirs de missionnaires dévoués se dessinent au hasard des dalles de granit gagnées par la végétation. Le petit cimetière de St Georges est certainement l’un des lieux les plus romantiques de Chennai.

Le Campus Saint George

La présence de George ne se limite pas au Fort ou à la cathédrale anglicane. En francais, on lui préfère Georges. On en trouve également la trace sur le campus de College Road, lieu de la plus ancienne université de Chennai. Il ne reste que peu de bâtiments de l’époque coloniale. Cependant, le secrétariat et la poussiéreuse mais étonnante société littéraire résistent au temps. La petite chapelle Saint Georges a, elle, été reconstruite. Elle manque singulièrement de charme mais rappelle le patron de la petite colonie et de son premier établissement d’enseignement supérieur.

Architecture coloniale

Voici un petit lexique récapitulant l’architecture coloniale à Chennai et sa signification  avec en prime quelques bâtiments emblématiques.

Le baroque Portugais

Au XVIeme siècle, le petit village tamoul de Mylapore est conquis par les Portugais en quète d’épices. Les Fransiscains qui les accompagnent en profitent pour évangéliser et reconstruire la basilique de l’Apôtre Saint Thomas, martyrisé et mort en ces lieux. Puis ils construisent des missions. De petites chapelles se multiplient à Mylapore : Saint Thomas bien sûre, mais aussi l’Eglise de la Lumière Luz, Sainte Rita, Notre Dame du Rosaire. Sur les hauteurs, les jolis ermitages blancs et baroques du Petit Mont et de mont Saint Thomas dominent la ville.

Le néo-palladianisme ou classicisme anglais.

Inspiré de l’architecte vicentin Palladio qui travailla au seizième siècle non loin de Venise, il est ramené en Angleterre par Inigo Jones et se diffuse dans les campagnes britanniques avant de s’imposer dans les plantations et les bâtiments officiels américains. Il est devenu emblématique de l’idée de démocratie et de bien publique. Avec ses lignes équilibrées et symétriques on le retrouve notamment au Rippon Building mais aussi dans les belles églises st Andrew et St Georges. Il émane d’une Angleterre triomphante qui impose sa vision de l’ordre et du bon gouvernement.

Le style indo-sarracénique emblématique de l’architecture coloniale

Le style indo-sarracénique nait à Chennai au Chepauk Palace, juste à côté du stade de cricket du même nom. Il correspond à la vision anglaise des édifices indiens. Il mêle influences mogholes (alors que les Moghols ne sont pas parvenus à Chennai), néo-byzantines voire gothiques. On le voit aux musées du Gouvernement mais aussi dans les bâtiments de l’université de Madras ou les cours de justice. Il témoigne d’une Angleterre qui se veut intégrante et compréhensive de l’héritage musulman mais qui ne se rend pas compte qu’elle commet un anachronisme majeur puisque les Moghols ne sont pas parvenus au Tamil Nadu. La présence coloniale impose ici un modèle unique indien dans une vision hégémonique.

Le style néo-gothique.

Emblématique de la fin du XIXe anglais, on le retrouve dans beaucoup d’églises coloniales avec ces flèches à clochers pointus. SanTome en est un bon exemple. La gare centrale, sur le modèle de Saint Pancras de Londres illustre aussi joliment ce style.

Il connait une variante vénitienne avec notamment les bâtiments de brique rouge du quartier de Parry’s Corner. Le long de la ligne de chemin de fer, les belles façades donnaient sur la Promenade, allée de parade à l’epoque coloniale vite abandonnée lors de l’ouverture du chemin de fer et de la nouvelle Marina Beach plus au sud. Cette variante repose sur les écrits de John Ruskin et est essentiellement adoptée pur les édifices à vocation commerciale. Certains architectes poussent l’imitation jusqu’à reproduire des édifices célèbres de la République Sérénissime de Venise comme le fameux Bovolo. Venise à Madras, il fallait oser, mais les Anglais au faite de leur puissance coloniale n’hésitent pas.

L’éclectisme

Il très typique dans toute l’Europe de la fin du XIXe apparait à Chennai dans certaines constructions originales comme le bâtiment du Sénat de l’Université de Madras sur la Marina. Le plus bel exemple est néanmoins certainement Egmore Station avec son ravissant toit en coupole et ses piliers décorés de dentelles.

Le style néo dravidien, plus rare est une concession à l’âme dravidienne locale. Plus profondément tamoul, il apparait plus tardivement au centre ferroviaire du sud-ouest près de la gare centrale par exemple. Il témoigne d’un intérêt voire de concessions de l’Empire par rapport à l’originalité et l’identité tamoule dans un océan anglo-hindi.

Également très rare à Chennai, le style Arts and Crafts témoigne du mouvement Art Nouveau mené par William Morris en Angleterre. On le retrouve non loin de la gare à l’école d’Art, lieu d’expérimentations artistiques.

Le style art- déco

Il marque la fin de l’architecture coloniale et une certaine forme de revendication par rapport à l’Empire britannique. Français à l’origine, remanié par son passage américain, il orne les nombreux quartiers nouveaux du Chennai des années 1940 et correspond à la montée du sentiment indépendantiste. On le trouve donc essentiellement dans les maisons privées des quartiers modelés dans les années 1930 tels T Nagar, ou Royapet. A Parry’s Corner, quelques édifices commerciaux adoptent également ces lignes droites et modernistes.