Jodhpur, ville bleue

Les blogs ou guides de voyages promeuvent Jodhpur comme La ville bleue. Pourtant historiquement on l’ appelait la ville du soleil (surya). Il est vrai qu’un petit quartier au nord de la vieille ville est célèbre pour ses maisons bleues. Pourtant, les théories véhiculées d’un guide à l’autre ou d’un blog à l’autre ne me satisfaisaient pas.

Faute de savoir lire l’Hindi ou de tomber sur une explication rationnelle, j’ai rassemblé la documentation dont je disposais sur Jodhpur la bleue.. Et, j’en suis venue à une question qui peut surprendre. Comment une initiative basée sur un élément patrimonial peut-elle en effet transformer une ville et son message ?

Des théories peu satisfaisantes mais répétées

D’un site ou d’un guide à l’autre les mêmes 4 théories sont répétées sans véritable fondement je le crains. Elles ne me convainquent guère.

–          La theorie religieuse

La premiere théorie pour expliquer les maisons bleues de Jodhpur affirme que c’est la couleur de Shiva et Krishna et que la ville honore ces deux divinités. Si c’était le cas selon moi, les villes du sud largement dédiées à Shiva devraient être toutes bleues.

–      La théorie socio-religieuse    

   

La seconde théorie me parait encore plus farfelue. Elle prétend que les maisons des brahmines sont bleues. Or en Inde, le bleu est traditionnellement la couleur des Dalits. On voit mal un recouvrement de ces deux couleurs. Et si tel était le cas, une ville comme Trichy aurait, elle aussi, des maisons bleues. Surtout comment justifier que le bleu badigeonne les édifices les plus pauvres d’un quartier bien décrépi ?

–             La théorie pseudo-scientifique

Une troisième théorie considère que le bleu repousse les insectes. J’ai entendu que le problème de Jodhpur était les termites. Mais dans ce cas, le bleu ne s’ appliquerait-il pas sur tous les soubassements de tout un quartier plutôt que sur des balcons ou des murs au petit bonheur ? Si en revanche on parle de moustiques et non de termites, ceux-ci aiment moins le blanc que le bleu. Ce sont les mouches qui n’aiment pas le bleu à ma connaissance. Les insectes évitent aussi un des composants chimiques de la peinture. Qu’elle soit bleue ou verte importe peu. Donc cette explication ne me parait pas non plus adéquate.

–         La théorie pseudo-logique  de Jodhpur la ville bleue    

Enfin on lit souvent que le bleu est une couleur qui refroidit les murs. Et repousse la chaleur vers l’extérieur. Dans ce cas je ne comprends guère que les autres villes du désert, type Jaisalmer n’observent pas la même attitude. Pas plus que je ne comprends que les anciens, notamment les Grecs blanchissent leurs murs de chaux et ne conservent le bleu que pour les boiseries et huisseries. Le bois pouvant en effet recourir à ces produits toxiques pour les insectes. L’intérêt de peindre des murs de grès rose, jolis par ailleurs me parait moins fondée en revanche. Difficile donc de percer la raison de ce bleu de manière convaincante.

Sauf si on avance une dernière explication un peu osée, moins élégante, mais à laquelle je crois davantage.

Jodhpur, Ville bleue ?

Quoiqu’ il en soit allez vous me dire la ville bleue est bleue. Et bien pas tant que cela, car si l’on est vraiment honnête, le bleu ne concerne que des maisons éparses dans un quartier pauvre voué à être rénové. Et c’est là je pense que l’on touche la vérité. Car contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre le bleu de Jodhpur est tout sauf homogène et traditionnel.

Cette ville de grès rose possède en effet un quartier populaire aux maisons plus pauvres, à l’appareillage mixte de pierre, torchis et donc certainement crépies. Contrairement au rose, le bleu qui en recouvre certaines façades est tout sauf homogène. Voisinnent un bleu profond tirant vers l’indigo, des violets, des verts, des bleu turquoise. Surtout ce bleu ou assimilé semble s’étendre depuis quelques temps, à la même vitesse que pullulent les logements chez l’habitant avec vue sur la ville bleue, et les arrêts photos Instagram. Du coup il parait légitime de se demander quand est apparue cette image de la ville bleue, comment et pourquoi.

Mon petit doigt me disait qu’il y avait une explication marketing, que le bleu servait de faire valoir. Forte de mon travail sur les Cathares je savais qu’ il pouvait y avoir d’autres explications  qu’une tradition introuvable pour une ville en lice pour un classement Unesco . J’imaginais bien en effet que des considerations de marketing touristique pouvaient expliquer cette explosion de bleue.

Jodhpur la bleue, une appellation commerciale ?

Historiquement le seul bleu dont j’ai retrouvé la trace à Jodhpur est dans la poterie.

En revanche, il m’a été quasi impossible de trouver un quartier bleu. Quelques maisons oui. Mais le bleu à grande échelle parait récent et tout à fait conforme au gout des occidentaux amateurs de Maroc et de photos sursaturées. Or Jodhpur n’est pas au Maroc et l’Inde n’est pas le pays du bleu. Or, la région mise sur le tourisme.

On peut donc se demander quand véritablement la ville est passée de sun à blue city. D’autant que, les maisons de Jodhpur, en lisière de désert utilisent le magnifique grès rose local. Celui-ci n’avait aucune raison esthétique ou structurelle d’être peinturluré en bleu. Les observateurs les plus honnêtes doutent un peu des explications et donnent leur langue au chat.

Une communication bleue

Pourtant la communication de Jodpur se fait officiellement sur le bleu. Ce qui permet de la vendre aux cotés de Jaipur, la ville rose, et Udaipur la blanche. En effet, Jaipur a été repeinte en rose fin du XIXème siècle à l’occasion de la visite du prince de Galles. Par ailleurs, beaucoup des sites du Rajasthan ont été inscrits ces 15 dernières années au patrimoine. L’Etat a bien compris ce que le classement pouvait apporter en notoriété, en visibilité.

Pourtant à force de naviguer sur le web, faute de livres voire de librairie, je crois que j’ai trouvé de quoi soutenir mon hypothèse selon laquelle la ville bleue est une appellation récente qui a pour but de donner une visibilité touristique à la ville. Jodhpur bleue, un argument marketing efficace en quelque sorte soutenu par la ville, le maharaja très impliqué, l’Etat du Rajasthan et soutenu depuis 2009 par le projet Berger.

Pour confirmer cette théorie, je vous propose quelques lectures et visionnages intéressants. Vous y découvrirez le rôle du mécénat, voire de la publicité ciblée, et de quelle manière le marketing peut transformer une ville. un exemple à méditer.

Indigo

Le terme indigo désigne chez les anciens la couleur qui vient d’Inde. Autrement dit de l’autre bout du monde où on la cultivait déjà 2000 ans avant notre ère. Il se réfère à une nuance d’un bleu profond mais aussi à une plante, l’indigotier. Base d’une teinture profonde cette couleur est certainement l’une des préférées de l’occident contemporain. En revanche, elle passe au second plan en Inde.

On pourrait même se demander si la couleur des Schtroumpfs a vraiment droit de cité au pays de l’indigo, comme l’illustre avec humour Catherine Delmas dans notre livre commun.

« Qui a volé mon bleu » copyright Catherine Delmas Lett

Aujourd’hui c’est aussi avec un joli jeu de mot le nom de la compagnie aérienne indienne la plus fiable et prospère.

Le bleu d’inde

L’indigo, ou Indigofera tinctoria, est une couleur située entre le bleu et le violet, Elle provient des feuilles et des tiges de l’indigotier. Les Grecs la connaissaient surtout pour se propriétés médicinales On la trouvait en Mésopotamie et en Égypte ancienne, mais aussi en Inde d’où son nom. Des découvertes récentes attestent de son existence en Mésoamérique. Elle transitait par les pays du Proche Orient qui l’utilisaent dans elurs céramiques vernissées. Cette tradition du bleu se retrouve dans l’Asie Central et l’Iran des XII, XIII ème siècle, puis un peu plus tard dans les Empires Safavide et ottoman.

Pour autant, elle n’intéressa vraiment l’occident qu’après le XVIe siècle. Pendant toute l’Antiquité, on’appréciait peu le bleu. Puis, la teinte s’affirma dans la représentation religieuse, chez Giotto, rare peintre italien à la faire sienne, dans les vitraux, voire l’héraldique.

Les vêtement et blasons royaux poussèrent à s’intérsser aux propriétés tinctoriales de la guède. Ce fut l’apogée du pastel. Mais les grandes découvertes ouvrirent la route de l’Inde. Avec cette route directe, s’améliorait l’approvisionnement en indigo. Or celui-ci offrait une couleur plus profonde, avec une meilleure tenue mais un moindre cout. L’Inde s’affirma alors comme le lieu de production du bleu et des textiles.

Il fallut attendre 1631 pour que l’importation d’indigo en France soit autorisée par la couronne et débute véritablement. La main d’œuvre bon marché des colonies américaines allait néanmoins rapidement déplacer le centre de la production de bleu.

L’indigo des Amériques

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les colonies devinrent des lieux de production importants. L’indigo poussait naturellement sur le continent et s’y montrait particulièrement qualitatif. L’esclavage, en fournissant une main d’œuvre très bon marché, allait achever de transférer la production d’Inde aux colonies américaines sous domination britannique. L’Angleterre détint alors les rouages du commerce du bleu.

 Pour obtenir la couleur, les arbustes d’indigo étaient placés dans des cuves d’eau afin de procéder à la macération puis à la fermentation. Le liquide était ensuite filtré, puis séché afin de récupérer l’indigo réduit en poudre et aggloméré en boules. C’est sous cette forme qu’il arrivait en Europe.

Avec l’indépendance américaine, la couronne britannique refusa la dissolution de son monopole et préféra déplacer une nouvelle fois sa production vers le sous-continent indien. Elle y imposa alors la monoculture de la plante au détriment des plantations vivrières provoquant des famines épouvantables qui ne disparurent qu’avec le retour à des cultures plus responsables.

le bleu des facades de Jodhpur

Le XIXème siècle s vit l’apparition de couleurs synthétiques grâce aux recherches de chimistes allemands dont Adolf von Baeyer  Ceux-ci rendirent les cultures fastidieuses et chronophages de l’indigo obsolètes. Leur découverte correspondait au brevetage des rivets qui allaient faire du blue jean un essentiel des garde-robes.

Aujourd’hui, l’indigo synthétique permet de fabriquer 4 milliards de vêtements en jean chaque année. En revanche, l’indigo renait en tant que couleur naturelle dans un cadre plus artistique. En Inde, il symbolise la ville de Jodhpur.

Mais ce rapide balayage historique permet de comprendre pourquoi le bleu ne figure pas au premier plan des couleurs indiennes.