Le cinéma indien

L’objet de cette nouvelle rubrique sur le cinéma indien, nommée de manière aguichante « M. Bollywood » est de donner des exemples et avis sur la fantastique production cinématographique locale. Le mot valise composé de Bombay et de Hollywood concerne en fait uniquement la production du Nord de l’Inde tournée dans les studios de Mumbai. Mais en Occident le terme est un fourre-tout pour désigner l’ensemble très divers des cinémas régionaux.

Le Nord, territoire de Bollywood

Le cinéma est arrivé en Inde par Bombay. Maurice Sestier , chef opérateur des Frères Lumières a y en effet débarqué en 1896. A l’époque. les inventeurs du cinéma Lyonnais avaient eu l’idée d’envoyer des chefs opérateurs à travers le monde. Leur but était double, Il s’agissait d’une part de rapporter des images nouvelles de leurs voyages, d’autre part de vendre leur savoir-faire et leur matériel sur de nouveaux marchés.

Très rapidement, le cinéma tourné à Mumbai se calque sur les énormes productions hollywoodiennes en leur donnant une touche indienne, qualifiée de masala. Ce terme fait allusion aux mélanges d’épices dans la cuisine indienne. Chaque film utilise les mêmes ingrédients scènes d’action, humour, amour, chants, danses. La différence se fait dans le dosage et la répartition des personnages, souvent des stars issues de véritables dynasties cinématographiques.

Pour autant, Le cinéma indien ne se limite pas à Bollywood. Ainsi le Tollywood du cinéma bengali regroupe les films tournés dans les studios de Tollygunge de Kolkota. 

Le cinéma indien du sud plus historique

 Le reste de la pléthorique production indienne provient des différentes régions. Chacune se montre fière de sa langue, de sa musique , de ses danses, de ses stars et de l’originalité de ses créations. Ce, même si les ingrédients se ressemblent souvent. Car quoique indépendant, le cinéma régional peut manquer d’originalité. On peut même le trouver parfois simpliste dans sa démonstration constante du triomphe du bien sur le mal.

D’une manière générale, le cinéma du sud est assez conservateur. Il raffole des vastes fresques mythologiques, historiques, familiales voire, quoique plus rarement, sociales.  Les productions du Sud puisent à pleines mains leur inspiration dans les épopées du Ramayana et Mahabharata . Les personnages répondent aux doux noms des divinités du panthéon hindou. Ces productions restent ainsi plus traditionnelles avec des thématiques et personnages empruntant davantage aux mythes.

On peut néanmoins distinguer trois lieux de production importants accompagnés d‘une importante industrie de doublage permettant à chacun des films de rayonner sur l’ensemble des états du Sud .

  •  Sandalwwood s’utilise pour les films en Kannada tournés dans le Karnataka (Bengalore). Les histoires sont souvent tirées des grandes épopées, de la mythologie
  • Dans le Kerala, les films sont tournés à Mollywood en malayalam. Ils tirent plus vers le cinéma d’auteur, vers les problématiques sociales.
  • Kollywood désigne le cinéma du Tamil Nadu, jadis filmé dans le quartier de Kodambakkam. Je dis jadis car les studios ont désormais déserté le centre de Chennai.

Encore une fois, les thématiques du sud sortent souvent des grandes épopées et mettent en scène des héros indomptables et quasi immortels. Le grand public regarde ces films mythologiques un peu comme s’il allait au temple. Il admire des réincarnations divines et applaudit à leur bravoure et leurs exploits. On n’est donc pas très étonnés que Les films du sud ne récoltent pas de récompenses internationales mais beaucoup de succès localement.

Le cinéma indie ou cinéma dit « parallèle »

Ce type de film « indépendant » et à résonance sociale n’est pas le plus courant, bien évidemment, car une grande partie du public n’est attiré que par le cinéma populaire. Il faut dire qu’en Inde, le cinéma a conservé sa magie.  Le héros continue d’incarner les espoirs et les rêves du public en très grand et les films jouent le rôle de soupape en faisant oublier, le temps d’une séance, l’injustice et l’oppression. Les salles, spacieuses, et en général, relativement insonorisées, (surtout dans les centres commerciaux) offrent une rupture dans un quotidien synonyme de promiscuité et de difficultés. Le cinéma conserve donc un attrait magique.

Cependant, de plus en plus à Mumbai, voire au Kerala, apparait un cinéma indien social avec des tentatives courageuses et des sujets plus modernes

Musée du Cinéma, Chennai

Voici un spécial Musée du Cinéma à Chennai. Les lecteurs les plus avertis l’auront certainement déjà subodoré. Le Monsieur Cinéma du Petit Journal dit aussi Greg le cinéphage, est ma meilleure moitié. Il a d’ailleurs opéré sa mue pour devenir M Bollywood sur ce site.

Pour changer des salles obscures, Monsieur Cinéma est parti en quête du musée chennaiote du 7e art. Il porte le nom de AVM Heritage Museum en hommage aux studios aujourd’hui fermés et disparus dans Chennai.

On peut accéder au musée depuis le Métro Vijaya. Celui-ci se trouve dans un centre commercial tout moderne et proche du temple du même nom, Arulmigu Vatapalani Murugan . De là, on rejoint Arcot Road pour rechercher les studios.

La vaine quête des studios

Le cinéma du sud étant très prolifique, Greg le cinéphage pensait trouver des grands espaces. Il s’attendait donc à trouver décors, starlettes au maquillage dégoulinant, caméras. Malheureusement, il a fait chou blanc. Il parait que les studios ont déménagé dans la campagne pour cause d’inflation immobilière au centre de Chennai.

En effet, au lieu de studios, seul le sigle AVM permettait d’imaginer que les lieux avaient pu importer pour le cinéma. Et de fait, ils avaient abrité l’âge d’or de la création cinématographique locale. Malheureusement, celle-ci a migré hors de la ville. De ce fait, les spéculateurs immobiliers se jettent avec gourmandise sur ces quartiers relativement centraux. Ceux-ci attendaient ces vastes terrains le couteau ou plutôt le carnet de chèque entre les dents. L’année dernière encore, quelques techniciens oubliés se consolaient dans les terrains vagues et les chantiers.

Car en cherchant un peu, il existe nombre de petits studios de doublage et d’effets spéciaux dans la ville. Pourtant l’idée de se rendre aux ex studios AVM  n’était pas si mauvaise. En effet, en avril 2023 un petit musée du cinéma a effectivement ouvert à Chennai.

Le Musée du Cinéma de Chennai

C’est bien dans le quartier historique de cette cité du cinéma disparue que le Musée du Cinéma s’est installé dans un studio rescapé. Le quartier se voit pour le reste envahi par des immeubles flambants neufs sur un boulevard un peu pourri.

Ne vous attendez pas à y trouver de grande reconstitution. Il manque un peu d’explications. Cependant, on y trouve les voitures conduites par les grands acteurs d’hier. Elles coexistent avec les bobines à l’origine de grands succès locaux.  Le propos ici est d’exposer les bobines et machineries utilisées pour tourner les films. C’est surtout l’occasion de montrer des dizaines de voitures utilisées par les grandes stars locales.

Alors si vous ne vous intéressez pas aux voitures anciennes ou aux films du Sud, passez votre chemin. Si, en revanche, l’évocation par de petits extraits de films locaux utilisant les voitures présentées vous tente. Si, les voitures elles-mêmes vous plaisent ,c’est l’occasion de passer un après-midi sympathique. Il est préférable de connaitre a minima quelques vedettes tamoul du grand écran. Vous vous formerez un peu aux noms et grands principes du cinéma local.

Mais une fois que vous aurez compris que Kollywood raffole des films de justiciers au grand cœur avec beaucoup d’action, des personnages joviaux et des stars indéboulonnables dans leur rôle de grand gentil, que les films sont ponctués de scènes dansées chantées peut être un tantinet plus folkloriques que dans la production du nord, vous aurez déjà une bonne idée de ce que vous allez voir.

reels at cinema Museum Chennai

 Laissez les grandes reconstitutions historiques et les films à très gros budget au Karnataka. Vous comprendrez ainsi mieux ce musée sympathique coloré mais pas immense. Des affiches concluent la visite de ce grand hangar converti en musée ou plutôt en hommage aux studios AVM.

Le doublage du cinéma indien

Le doublage du cinéma indien est monnaie courante et plus particulièrement dans les régions du sud. En effet, l’une des particularités du cinéma indien est de devoir composer avec la multitude de langues et donc de devoir offrir des possibilités de sous titrage et de doublage.

Photo Aura Studio

La problématique linguistique au cœur du doublage du cinéma indien

Le sous-continent compte en effet plus de 20 langues officielles. Celles du Sud, dravidienne n’ont aucune base commune avec celles du nord. Du coup le cinéma s’adresse non pas au milliard et demi d’habitants mais à une portion d’hindiphones, tamoulophones ou autre.

studio de doublage à Chennai

Si l’hindi s’impose relativement dans le Nord et peut être compris dans de nombreuses provinces il est en revanche très mal considéré dans certaines régions au sud du Plateau du Dekkan et notamment dans le Tamil Nadu. Une grande partie du public peu éduqué ne va en effet voir que les films tamouls, ou à défaut doublés en Tamoul. D’où le développement de studios dans chacune des grandes capitales régionales et linguistiques. Ainsi Tollywood produit le cinéma du Telangana et de l’Andhra Pradesh dont la capitale conjointe est Hyderabad. Ce cinéma a particulièrement le vent en poupe avec deux énormes succès récents Baahubali et RRR, couronné récemment par l’oscar de la meilleure musique originale.

double affiche de Bahu Baali, l'une en tamoul, l'autre en Telougou

Kollywood, un cinéma restreint au Tamoul

A Chennai, ce sont les studios de Kollywood qui diffusent un cinéma en Tamoul. Cependant ces cinémas pour gagner une audience plus large sont souvent tournés en plusieurs langues.

Baahubali est peut-être justement l’exemple le plus connu de film tourné en telugu, sa langue d’origine et simultanément en tamoul. Un seul des acteurs est Tamoul et célèbre. La plupart des acteurs se sont doublés eux-mêmes. Seuls les plans rapprochés sont tournés une nouvelle fois dans la seconde langue de manière à faire coïncider le mouvement des lèvres et le son.

 Dans certains films, même les inscriptions changent selon le public concerné. Il ne faut pas oublier qu’une grande partie du public n’est que faiblement alphabétisée. Elle n’est surtout pas forcément alphabétisée dans la langue de son état de résidence et ne peut donc pas lire de sous titres ou pas suffisamment rapidement. Les différentes langues indiennes ne reposent effectivement pas sur le même alphabet. Ainsi lire dans sa langue d’origine n’implique pas que l’on puisse lire une autre langue pour autant pratiquée à l’oral. On pourrait ici parler d’analphabétisation relative. C’est pourquoi, les sous-titrages en anglais sont relativement fréquents. L’anglais est en effet la langue la plus commune et la plus utilisée dans les études.

Pathaan en Hindi

Les studios de doublage du cinéma indien abondent, disséminés un peu partout dans Chennai. Cependant, ils s ne sont pas toujours très visibles. Le studio typique consiste en une salle insonorisée avec un pupitre et un gros micro, un écran de cinéma de petite taille à quelques mètres en face, et les ingénieurs du son avec leur matériel audio derrière une vitre.

Le doublage une activité florissante

Depuis les années 2000, le doublage est devenu une activité florissante grâce notamment aux progrès dans le digital. Les ingénieurs du son ont affiné leur spécialité et recalent les voix ou les modifient le cas échéant pour correspondre au personnage. Les doubleurs, eux, ne doublent plus forcément un artiste mais plusieurs, en fonction du sujet ou du personnage. Le milieu s’est modernisé, et même syndicalisé. Doubler en Inde est aujourd’hui un métier reconnu, voire recherché. Du fait de la professionnalisation croissante, les interprètes de doublages sont de plus en plus connus. Mais également de plus en plus chers. Aujourd’hui, pour accéder à ce métier de plus en plus valorisé et recherché, il existe même des formations universitaires.

Les acteurs de doublage, car il s’agit de véritables acteurs, travaillent uniquement en post production. La plupart du temps, leur scène se limite à un studio. On leur demande un échantillon de voix qui doit coller à un ou plusieurs personnages mais surtout à des situations. Car tels de véritables acteurs, les doubleurs se doivent de faire passer les émotions par leur simple voix.

Pathaan affiche en tamoul d'un film hindi doublé

Lors du doublage, le nom du film n’est pas toujours connu, il peut être donné bien en amont du montage. Chaque scène fait l’objet de nombreux essais pour bien caler la voix à l’image. L’acteur ne reçoit pas de script mais un papier un stylo qui lui permettent de noter les dialogues des  scènes qu’il visionne. Cela permet de vraiment interpréter le rôle. La difficulté consiste à coller à la durée du mouvement des lèvres des acteurs visibles à l’écran et à l’intonation voulue par le réalisateur.

Le doubleur un interprète dans tous les sens du terme

matériel de prise de son

Les langues sont variées. On peut ainsi demander à un artiste du sud de doubler un acteur hindi en plusieurs langues dravidiennes. Il n’est pas rare en effet que les acteurs maitrisent plusieurs langues. Il arrive qu’un doubleur puisse doubler en 2, 3 voire 4 langues du sous-continent indien. Certains indiens ont en effet des parents de régions, et donc de langues, différents. D’autres sont scolarisés en deux ou trois langues. D’autres encore, parce qu’ils changent d’Etat pour une raison ou une autre, se voient contraints à apprendre une ou plusieurs autres langues. Il n’est donc pas rare que les Indiens parlent, sans forcément écrire, trois, quatre voire plus de langues en plus de l’anglais. On a alors affaire à des véritables spécialistes de l’interprétation au sens large. En effet il s’agit d’interprétation en matière linguistique et au sens théâtral.