Cette quatrième et dernière partie du feuilleton des thés s’intéresse au thé boisson symbole de deux pays que tout semble opposer.
Le thé né en Chine, acculturé en Inde pour satisfaire les appétits financiers et étancher la soif des anglais, devient une boisson symbole pour ces deux contrées. C’est au XIXe que l’ensemble de la Société anglaise fait du thé la boisson nationale. En revanche, il faut attendre la fin du XXème pour que le chai devienne indissociable du sous-continent indien
Ritualisation anglaise du thé indien
Ayant mis tout le monde au boulot sans coup férir, les Anglais peuvent tranquillement siroter leur cuppa venue d’Inde ou d’ailleurs> Elle coûte d’ailleurs un prix sans commune mesure avec celle de leurs ancêtres de la période Géorgienne. Pour l’aristocratie, il convient maintenant de se démarquer de ce qui est en train de devenir une boisson nationale. La gourmande septième Duchesse de Bedford a l’idée d’inventer l’afternoon tea, ou low tea.,
A l’époque, l’élite a coutume de diner tardivement, à la mode française. Et longue est l’après-midi qui s’étire entre le diner et le souper. Pour se sustenter sans perdre de sa superbe, la distinguée Anna de Bedford a donc l’idée ingénieuse de lancer la mode de cet afternoon tea. Le thé, servi dans des services rivalisant d’élégance. On l’accompagne de petits biscuits, scones et petits sandwichs de pain de mie coupés joliment.
Ce tea time considéré comme emblématique du raffinement britannique se prend en fait à 15h. Il comprend de nombreuses règles mais aussi des batailles, éminemment essentielles à la survie de la société.
Batailles de bienscéance
Convient-il en effet de verser le thé d’abord et d’y ajouter une goutte de lait ou de commencer par le lait froid pour éviter de casser la fine porcelaine en y versant brutalement de l’eau bouillante. ? Primordial également à la survie de l’humanité, tartine-t-on le scone d’abord de clotted cream puis de marmelade de fraises ou le contraire ?
Les classes moins favorisées elles, se mettent à l’abri de ces débats d’idées fondamentaux. Elles se replient sur le high tea, ou sorte de repas complet servi vers 17h30.
L’ère victorienne et le thé comme arme morale
Dans la suite du dix-neuvième siècle, la reine Victoria devenue impératrice des Indes et d’une grande partie du monde, va régler toute la vie de ses sujets. Elle formate tout de la tenue vestimentaire à la manière de consommer le thé.
Dans cette société puritaine et corsetée, le thé va connaitre un nouvel élan moralisateur grâce aux sociétés de tempérance qui l’opposent à l’alcool. On loue alors le thé consommé très sucré pour apporter des calories et tromper la faim des plus pauvres. Nourrissant, réchauffant et énergisant, il permet de contrer la consommation d’alcool, absorbé par les miséreux de la Révolution industrielle en butte au froid et à la faim.
Tout est donc en place pour l’avènement du thé des colonies. Reste à régler un détail, économiquement essentiel pour les sujets de sa grâcieuse Majesté. Il s’agit de s’assurer que les consommateurs britanniques préfèrent bien le thé indien au thé chinois. Un certain M Horniman entre alors en scène. Le saint homme du Capitalisme britannique a d’ailleurs un musée à sa mémoire.
Pour être honnête, c’est la fortune de ce monsieur qui a permis à ses descendants de se lancer en politiqu. Elle a aussi permis de faire bénéficier aux britanniques des largesses rendues possible par l’exploitation des colonies. Avec un génie du marketing très Anglo saxon, il lui revient de diaboliser la production chinoise. On la peint alors comme de mauvaise qualité, mélangée avec de la boue. Dans ce cadre, on l’oppose à la production indienne contrôlée par la toute puissante compagnie des Indes orientales.
Et l’Inde ?
Et l’Inde dans toute cela ? Car s’il est un fait établi que le tea time est une tradition anglaise et que le thé est la boisson symbole de l’Angleterre, que font les Indiens en dehors d’être réduits à ramasser les feuilles ? En fait il faut attendre l’indépendance pour que la boisson, déjà consommée au début du vingtième siècle par l’élite anglicisée, gagne les villes de province, ce grâce au chemin de fer. Après 1950, les campagnes sont peu à peu gagnées au gout du thé. Mais il faut attendre les années 1970 pour que cette boisson devienne un symbole national. Bien qu’unitaire, elle ne porte néanmoins pas le même nom entre le sud et le nord. Car si la terminologie Chai au Nord, c’est le mot Tea qui lui est préféré au sud. C’est que le thé s’est diffusé par voie maritime alors que le chai lui venait par voie terrestre. C’est ainsi que le seul pays européen à boire du cha est le Portugal et ses colonies alors que le reste de l’Europe a adopté le thé, tea, tee.
Il est d’ailleurs incroyable de voir que la boisson symbole de ces 2 pays opposé que sont le Royaume Uni et l’Inde est la même. Mais le symbole lui diffère passablement. Si le thé indien symbolise l’unité nationale d’un pays très divers. Le thé anglais, quant à lui, affirme la toute puissance impériale de l’Angleterre victorienne à son apogée consommant le sucre des Antilles dans le thé d’Inde, avec du lait néozélandais.
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