Toulouse la bleue et la route du pastel
Dans mon précédent article, je suis revenue à grands traits sur l’histoire du bleu en plongeant à pleines mains dans les ouvrages de Michel Pastoureau. Cette semaine je vous propose d’approfondir la destinée de la région toulousaine au Moyen Age. C’est l’époque où les chantiers des cathédrales mettent le bleu à l’honneur. Promu comme couleur à part entière, celle-ci gagne le vestiaire et assure la fortune des fabricants et marchands de guède. Or l’une des zones qui va s’affirmer est le triangle Albi Carcassonne Toulouse.
Le bleu pastel, or du « pays de cocagne »
Déjà connu des anciens. l’Isatis tinctoria aurait été introduite en Europe au Moyen Âge par les Maures qui lui prêtaient des vertus médicinales. En France, elle assura la fortune d’Amiens jusqu’`a la guerre de 100 ans et surtout celle de Toulouse.
Cette plante bisannuelle a besoin d’une terre riche en calcaire et argileuse pour se développer mais elle s’adapte aux climats tempérés, Dans le Lauragais, on obtenait jusqu’à 6 récoltes par an de ces feuilles vertes aux fleurettes jaunes. Le processus de fabrication du pastel était néanmoins long et fastidieux. Une fois les feuilles récoltées manuellement, lavées, elles passaient sous le moulin pastelier.
Broyées, elles étaient ensuite égouttées puis moulées à la main pour former des « coques » (boules). Le Pays de Cocagne est le lieu où l’on façonnait ces coques. On les déposait ensuite plusieurs mois sur un séchoir.
Puis, une fois sèches, on les réduisait en poudre à l’aide d’un maillet. On versait cette poudre dans une cuve carrelée creusée à même le sol. On l’arrosait alors d ’urine et d’eau croupie afin d’en accélérer la fermentation. La pâte à l’origine du mot « pastel », retournée deux fois par semaine avec une pelle devait dégager une odeur atroce.
Une fois la fermentation terminée, on obtenait enfin une matière bleu gris foncé, l’agranat (concasser en occitan). Il fallait le réduire en poudre très fine pour l’utiliser dans les cuves de teinture. Il ne restait qu’à tremper le tissu.. Après le premier bain, il ressortait jaune, virait au vert puis, rapidement, en s’oxygénant, devenait bleu.
Le Lauragais et le pastel, la route du pastel
Au début du XVe siècle, le Lauragais est encore pauvre. Cette région traditionnellement textile se trouvait à l’épicentre du drame cathare. Parler des Cathares me permet de faire la publicité de la dernière et toujours aussi remarquable exposition du Musée saint Raymond de Toulouse. Avec ses commentaires décalés mais au fait des dernières recherches archéologiques, les conservateurs ont une nouvelle fois réussi le tour de force de vulgariser les dernières publications scientifiques avec humour et brio.
L’essor du commerce du pastel va bouleverser une nouvelle fois son destin cette fois de manière positive.
Toulouse et Albi se transforment. Leur enrichissement profite à leurs représentants, les Capitouls toulousains et les grandes familles albigeoises. Ils ornent leurs villes de somptueuses demeures. Ainsi, à Toulouse, l’Hôtel de Bernuy, appartenait à un négociant si riche qu’il racheta la dette nécessaire à la libération de François 1er . L’Hôtel d’Assézat, lui remonte à 1555 .
Au XVIème siècle, la région connaît un essor sans précédent. La campagne se couvre alors de châteaux, d’hôtels particuliers, d’églises et de pigeonniers. De simples propriétaires terriens deviennent des bourgeois fortunés, accédant même, pour certains, à la noblesse.
A St Martin de Nailloux, Bourg Saint Bernard ou Montgeard, les tombes ou portails des églises attestent de l’enrichissement de la région au XVIème siècle.
Des châteaux montrent également cette richesse. Reconstruits comme à Loubens-Lauragais où le moulin pastelier sert aujourd’hui de fontaine ou à Tarabel. Aménagé pour la teinture comme à Monestrol, ou construits ex nihilo comme à Montgeard, ces grandes demeures disent la réussite sociale des marchands.
Des villes deviennent plaques tournantes du commerce des textiles ou des teintures : Avignonet-Lauragais, Villefranche-de-Lauragais, Caraman.
Aujourd’hui les moulins pasteliers ont tous disparus et seuls les textes nous les évoquent. Néanmoins l’habitude d’utiliser les fonds de cuve de pastel pour peindre les menuiseries, volets, portes, les charrettes et les cornes des bœufs a longtemps perduré. Le pastel avait en effet la réputation de posséder des propriétés fongicides et insecticides.
La fin du pastel toulousain
Le pastel connaît son apogée au milieu du XVIème siècle. Mais, plusieurs évènements concomitants vont mettre fin à cet âge d’or.
C’est tout d’abord la concurrence de l’indigo de meilleure tenue et de moindre prix. Pourtant, la couronne de France interdit dans un premier temps la teinture indienne. Elle maintient ainsi artificiellement le commerce du pastel jusqu’ à la fin du XVIIème siècle. C’est l’avènement des teintures chimiques qui porte le coup final.
Cependant, le pastel connait deux renaissances aux XIXème et au XXème siècle :
Sous Napoléon, le blocus continental avec l’Angleterre rend indisponible les matières tinctoriales., L’empereur encourage alors la production de pastel français afin de teindre les uniformes de l’armée. Mais la production reste éphémère et s’écroule avec l’Empire.
Aujourd’hui on assiste à un renouveau artisanal du pastel dans les cosmétiques et certains tissus locaux et haut de gamme.